Carnet de bord, semaine 34 25 août 2019 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : , , , , , , ,

publie.net, le feuilleton, à retrouver chaque semaine, par GV.

 

lundi

Chaque année, c'est la même chose avec cette grosse centrale d'abonnement pour les collectivités (via laquelle nous sommes reliés à certaines bibliothèques abonnées) : il faut mettre à jour notre liste de titres (un simple fichier excel à envoyer chaque mois via FTP) pour nos nouvelles parutions de juillet. Et chaque année je réponds à la personne (jamais la même), que nous ne faisons paraître aucun titre en juillet. Je pourrais tout aussi bien mettre en ligne un fichier factice, le même qu'en juin, mais à la date de juillet, histoire de n'être pas relancé, sauf que, bien sûr, je n'y pense jamais. Et, chaque année un peu avant LA RENTRÉE LITTÉRAIRE™, c'est la même chose encore : je sèche devant l'édito de la newsletter. Ça a commencé, bien sûr, sous la forme d'une feuille de papier roulée en boule et jetée à la poubelle (ce que j'avais écrit la semaine dernière à la main), et ça s'est poursuivi sur une toute autre blancheur encore : celle d'une page web d'un célèbre singe des envois immatériels sur laquelle un curseur clignote. Page (ou panne) blanche ? Pas vraiment. Schizophrénie plutôt. C'est le concept même de RENTRÉE LITTÉRAIRE™ qui me pèse. Bon, je ne dois pas être le seul. Mais, en attendant, il faut bien écrire quelque chose. Dire quelque chose de nous. Des livres qu'on propose, cette année, pour la rentrée. Oh, il y a toujours un moyen de les relier ensemble, c'est une affaire de sensibilité. Ce n'est pas ça le problème. Peut-être que le problème, c'est que je mets plutôt mon énergie dans la  création de la page qui sera plus tard le corps de la lettre d'info : l'organisation des blocs entre eux, les vignettes, les images, les liens vers ailleurs, l'agenda, la revue de presse, etc. ? Peut-être que le problème, c'est que je me retrouve à écrire ce Carnet de bord plutôt que l'édito de la news ? Non, ça se sont des symptômes, pas des problèmes. Quoi alors ? Je sèche. J'en viens pourtant à écrire quelque chose :

Chers amis,

On fait des trucs étranges. Par exemple, au moment d'aborder la rentrée littéraire on se dit, j'aime pas la rentrée littéraire. Et puis on se dit, non quand même, on ne peut pas écrire ça. Mais qui dans ce monde aime la rentrée littéraire ? Les libraires qui voient débarquer plus de titres encore que l'année précédente et de quoi recouvrir l'ensemble de leurs tables en un seul raz de marée ? Les journalistes qui vont mystérieusement tous choisir la même demi-douzaine de livres à encenser avant d'attendre le couperet des prix ? Les éditeurs qui en sont déjà à préparer la prochaine rentrée littéraire avant que ne reviennent les cartons d'invendus avant la mise au pilon des malheureux et leur recyclage en carton d'emballage et en papier toilette ? Les lecteurs à qui l'on répète comme l'année précédente qu'il y a cette année 8993 nouveaux romans (dont 6584 premiers romans) ?

Et on a tout à fait raison, on ne peut pas écrire ça. Effacer donc. Mais j'aime bien cette accroche, on fait des trucs étranges. Après tout, n'est-ce pas précisément ce que nous faisons ? Peut-être que ça valait le coup de se perdre dans l'édito de la newsletter (et donc ne pas écrire l'édito de la newsletter) pour trouver cette phrase-là. Il faut se contenter de peu de mots des fois. Cinq, par exemple. Repartir donc de là. Voilà. C'est fait. J'avais prévu de finir ça à 16h30. Il est 16h31. Good job, Guillaume. À moins que j'en vienne à tout effacer et tout recommencer demain ?

 

mardi

Non. D'abord, j'apprends via Twitter que Amazon va redistribuer ses produits invendus à des organisations caritatives plutôt que de les détruire et je m'en réjouis : cela veut-il dire que nous ne verrons plus passer aucun retour en provenance d'Amazon à l'avenir ? Non, bien sûr, là encore. Mais au moins nous aurons ri. Puis on reçoit par mail un spam qui commence par Chers éditeurs, avez-vous passé de bonnes vacances ? J'ai arrêté de lire après ça. Là, j'en suis plutôt à relire. La première mouture du texte maquetté du Journal du brise-lames pour commencer, que Roxane a décliné en deux versions (et on tombe tous d'accord lorsque vient le moment d'en choisir une plutôt que l'autre). Je prends des notes sur un petit carnet forestier. À un moment j'écris césure scrotum (!). Le point d'exclamation entre parenthèses, c'est pour le carnet de bord parce que, mine de rien, les relectures, c'est du sérieux. J'en profite pour mettre de côté des phrases pour une prochaine quatrième de couverture, ou une présentation du livre à autrui, ou les deux. Par exemple, là je note les mots matière vivante ainsi qu'une citation issue du texte : des coulées de mots qui coagulent pas. Un extrait fort, aussi, qu'il faudra savoir mobiliser pour donner envie de s'y plonger, dans ce texte :

Nos territoires sont les Thélèmes, les anciennes frontières. Des hommes les traversent, d’autres s’y installent. Certains en partent, d’autres y reviennent. Nos territoires sont poreux, à l’extrême, ils sont refuge, ils sont halte, et depuis très longtemps ils ne barrent plus la route à quiconque.

Retour de notre point hebdomadaire avec Julie : aujourd'hui, c'est le jour de réception des offices en librairie, c'est donc particulièrement le jour où ça ne sert à rien d'appeler les libraires, qui sont tous pour la plupart ensevelis sous les cartons, et en train de refaire toutes leurs tables. Il y a toujours trop de livres qui paraissent, même si ce n'est peut-être pas la pire rentrée qui soit à ce niveau-là.

 

mercredi

Au programme aujourd'hui (semble-t-il) : oublier. Mais avant d'oublier à peu près tout, commencer par ne pas oublier précisément de mettre en ligne l'article annonçant la parution d'Au canal, aujourd'hui, ainsi que le mailing ciblé à plusieurs centaines de librairies pour signaler la parution pendant que, parallèlement à cela, Julie débloque les commandes notées lors de sa tournée d'appels ces dernières semaines auprès d'Hachette et en reprend justement le fil (de sa tournée, je veux dire). Ne pas oublier non plus l'envoi de notre lettre d'information de la rentrée et, voilà, ça y est, on est bon pour oublier tout le reste. D'abord, que lorsqu'une commande supérieure à 30 exemplaires est passée à Hachette, elle est automatiquement bloquée (des fois que ce soit une erreur de quantité, tant il est rare qu'en impression à la demande on soit sur ces volumes). L'autoriser au cas par cas, donc. Puis oublier comment on fait pour intégrer le corps de la lettre d'information dans un article soluble dans WordPress (il faut aller tripatouiller dans le html pour virer des machins, tableaux la plupart du temps), alors aller voir comment on a fait les fois précédentes. Oublier cette histoire d'ISBN doublonnant auprès de notre imprimeur alors pendant un moment comme le dit Roxane c'est un dialogue de sourds qui s'instaure, un dialogue de sourds à trois bandes (LSF, Hachette, nous). Oublier comment éditer les notices unimarc que l'on récupère via le portail du dépôt légal du livre numérique sur le site de la BNF, puis après comment les éditer ce sera quels codes choisir pour intégrer une info supplémentaire, oublier si on édite ou non le header, oublier avec quoi lire ladite notice modifiée pour vérifier que tout est lisible correctement par quiconque, oublier dans quel format de fichier encoder ça, oublier mes login et mots de passe de cet environnement de test que j'avais donc oublié avoir créé il y a des mois précisément pour ça, etc, etc. Mais oublier (et avoir réalisé qu'on avait oublié), n'est-ce pas la première étape avant de se souvenir ?

jeudi

Pendant que Roxane s'attelle à la mise en page du recueil de Fabrizia Ramondino, que l'on se met d'accord petit à petit sur un titre, et que Philippe relit le Hh de Joachim Séné, je me dis que revenir un manuscrit plusieurs semaines après une première lecture infructueuse, pour essayer de comprendre ce qui n'allait pas (ce qui n'allait pas dans le texte, et/ou en soi lorsqu'on était immergé dedans), c'est un luxe. Tout ce qui nécessite de passer du temps sur quelque chose plutôt que sur autre chose de directement indispensable à la vie de la maison d'édition, globalement, c'est un luxe. Là, j'ai pu comprendre le truc. C'est-à-dire : mettre mes idées au propre et pouvoir faire un retour à l'auteur concerné qui pourra, ou non, choisir d'en tenir compte. Peut-être lira-t-on une deuxième version du manuscrit dans un futur plus ou moins proche, ou prochain, et peut-être que ça ira ensuite germer sous la forme d'un livre. C'est beaucoup de peut-être. Mais lire, c'est passer son temps à articuler entre eux des peut-être, à faire des plans sur la comète, à construire mentalement d'autres textes encore que celui qu'on est en train de lire, autrement dit, pour reprendre une expression communément employée : y mettre du sien. Là, dans cet autre manuscrit, que je découvre, c'est encore complètement différent (car en définitive chaque texte est complètement différent). Le début est particulièrement réussi. Assez pour que j'en parle ici, toujours. Mais ça arrive souvent, des débuts particulièrement réussis, notamment quand on a affaire à des romans. On se dit d'entrée de jeu, mais c'est génial, il faut absolument qu'on fasse ça ! Et tout l'enjeu derrière, pour le texte, c'est de faire tenir sur la longueur ce sentiment-là. La plupart du temps, ça s'effrite. Très rapidement parfois. C'est-à-dire qu'en dépit des qualités diverses du manuscrit (qualités d'écriture, qualités narratives, sujet fort, etc.), le texte n'a déjà plus grand chose à offrir passés le premier tiers. Il y a eu des promesses très fortes et elles ne sont pas tenues. Est-ce que ce sera le cas ici ? Pour y croire après tant de précédents infructueux, il faut avoir la foi.

vendredi

La nouvelle version de Barbe bleue est là qui m'attend et j'aimerais avoir plus de temps à lui consacrer que les quelques dizaines de minutes que je picore sur elle (c'est la vie). Et j'ai tout oublié (encore) de cet entretien téléphonique avec un étudiant en journalisme réalisé en mai (je veux dire, je me souviens avoir été là au téléphone mais je ne me rappelle pas des réponses que j'ai données, et à quelles questions non plus) et là, il m'informe que son article sur le livre numérique paraîtra dans les prochains jours. Good ! Mais j'en viens surtout à me demander si je n'ai pas dit des trucs qu'il ne vaudrait mieux pas dire. C'est le problème quand on porte la parole de quelque chose d'autre que seulement soi en public : il y a de fortes chances pour qu'on nous écoute. J'écoute, justement, ce que cette centrale de ventes de livres numériques au titre pour les établissements académiques nous présentent, peut-être pour intégrer notre catalogue. En fait, je prends trois (petites et forestières) pages de notes à reporter ensuite dans un mail à l'équipe pour voir ce qu'on peut faire ou pas. Prendre une décision collégiale. Ce n'est pas la première fois qu'on a ce type de demande. Jusqu'à présent, nous avons toujours priorisé notre offre d'abonnement, mais l'une peut être complémentaire à l'autre.