Journal du Brise-lames sens dessus dessous
Tiers Livre et Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.
Kézako le Journal du brise-lames ?
Un truc branlant en vérité, tout plein de digressions (me revient un article de Claro où il était question de « zones décoratives »), que des digressions en vérité. Je me dis : faut percer. Pas le mystère, on sait bien que c’est lui qui nous perce. Non, percer le réel, le dégonfler, quelque chose comme ça. Après on est dedans, on baigne dedans, on fait ouf… et c’est reparti ! Mardi, j’ai lu et entendu du Tarkos et je ne sais pas si ces textes me plaisent ou pas et ce n’est pas la question. Quelque chose perce, là, crève, là. Et c’est beau.
Alors, donc, revenons : kézako le Journal du brise-lames ? Un vague texte qui flirte avec le roman mais non, ce n’est pas, définitivement (ça c’est réglé une bonne fois pour toutes), ce n’est pas un roman. Le Journal du brise-lames flirte avec la poésie mais évidemment, bien sûr que non, ce n’est pas, mais alors PAS DU TOUT, de la poésie. À la rigueur, il lui passe la main sous la jupe. À la rigueur. Parce que ce qui est bien avec la poésie, c’est qu’elle aère, pratique des trous, partout. Ah ! si le Journal du brise-lames pouvait être de la poésie ! On respirerait mieux. Mais non. Je crains. Tant pis. Enfin, vous l’aurez compris, j’espère quand même (« l’espoir a la vie dure » disait une des pauvres que William T. Vollmann a rencontrée, je suis cette pauvre). Le Journal du brise-lames flirte avec le théâtre, mais alors de loin, du bout du bout, des fois, et encore, suis même pas sûre. En tout cas, moi, je le souhaite pas. De toute façon, c’est pas de La Littérature.
Oui, j’avais dit à Louis que je lui enverrais un post sur ce truc un peu branlant que je suis en train de construire et qui n’a du journal que le titre. Je m’étais dit à moi que peut-être ce texte sur ce truc un peu branlant que je suis en train de construire allait m’aider à comprendre ce truc un peu branlant etc. Je nage.
J’aime nager dans une matière insaisissable.
Même si j’ai très peur.
Parce que j’ai très peur ?
Quand je n’ai pas peur je m’angoisse vite. Les rails m’angoissent. On est si vite passé, sous les rails. Alors je déraille, très consciencieusement. À heures régulières. Je m’organise très fort pour ça. J’y pense très fort tout le temps. Comment je vais faire pour me libérer, pour coller serrer toutes les choses à faire, pour avoir le temps, avant, ensuite, pendant, pour avoir l’énergie aussi, de dérailler. C’est que ça demande de tout planifier, la sortie des enfants, leur goûter, les comptes à faire, le plein d’essence, la fiche d’inscription à remplir, la copine à rappeler, le chat à nourrir, ça demande une organisation béton, faut bétonner pour dérailler en paix (parce que, franchement, entre nous, j’ai essayé, déjà, assez longtemps d’ailleurs, de rester sur les rails, meilleur moyen de dérailler au plus mauvais moment, ça te fout une merde dans l’emploi du temps ! alors pas d’autre choix que de planifier de petits déraillements quotidiens. À ce prix que vous pouvez, enfin, devenir quelqu’un d’aimable et même quelqu’un de tout à fait fréquentable. Certains disent de moi : posée. Bon, faut avouer : je suis bêta-bloquée aussi, ça aide… mais ça fait pas tout.)
Penser aussi à éteindre son portable, désolée : un appel.
Oui, je raccroche, juste pour vous dire que là, je vous ai parlé, vraiment parlé, de fhemme à fhomme. Et que ça va mieux. J’ai un peu moins peur. Même si je ne comprends toujours pas ce que je suis en train de fabriquer. Mais j’ai moins peur de ne pas comprendre. Bon, maintenant, il faut que je me SAUVE.
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I miss something, Sami Said, par Louis Imbert
_ C’est une route longue Un plan sur lequel on peut s’appuyer longtemps_ C'est la matière calme l’asphalte puis la terre puis de nouveau l’asphalte
_ I miss something, Sami said_ Il y a les empâtements les rigoles les giclures sous le pied_ Il y a sous la pluie une pellicule vitreuse pour le jeu des ombres en glacis de soi de l’entour_ Nous n'avons point vu leurs femmes, peut-être allaient-elles venir
_ Il y a une distance qui se fige dans l’eau de l’œil_ Liquide contre liquide ça se promène
_ Et qui pleurantes rient riantes pleurent_ J’ai rencontré un vieux à Khodjent qui demandait de l’eau pour écouter chacun ses morts et_ Tête de chien toi belles dents beaux fruits les maladies secrètes
_ Marcher c’est voir au fil des heures un peu plus flou_ J’écarquille_ Mes tempes se serrent J'aimerais revoir le cygne en plastique sur le lac
_Un lac à montagnes Le cygne à long cou assis sur le rond de son corps et des pédales là-dedans Vert pétant_Ils pédalaient sous les pentes des montagnes terreuses_ Et qui sont l’une pour l’autre_ Très coagulées de pierraille Qui sont légères et Par-ci_ Par-là_ Ne tombent pas tous les jours Le grésillement de la viande dans un grand lac de silence
_ Et j’aimerais autant tant de choses_ J’ai en marche tant de voix simples en tête des voix longues qui s’effilochent sur des kilomètres Elles teintent chacune à leur manière une image en mouvement lent Une histoire presque_ Un seau d’envies et de marche_ T’écorchera mais pas tout