Carnet de bord 2020, semaine 43 25 octobre 2020 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : , , , , , , , , , ,

Pour cette semaine un peu particulière de Marché de la poésie in absentia, le feuilleton publie.net (que toute la chaîne du livre au moins nous envie) se lance dans la poétique fiction. Par GV.

lundi

Le carnet fait donc dans la fiction spéculative : et si le Marché de la poésie s'était tenu, comme il se tient in absentia sur les réseaux, non faute de mieux (en réalité, carrément faute de mieux) mais parce que le web est aussi son espace. Par exemple : qu'aurais-je fait cette semaine si j'avais fait ce que je fais généralement une semaine de salon ? Le lundi, préparer mon stock. Préparer son stock pour un salon (a fortiori un salon de cinq jours, comme le Marché de la poésie) est toujours un peu un casse-tête. C'est plus un casse-tête encore quand on n'est plus directement sur place (où là on peut se dire, je prends ci et ça en petite quantité et, si ça part, je réassortirai au fur et à mesure). Là non, et il y a bien sûr une logique de place : il faut que tout rentre, et accessoirement que tout soit mobilisable (donc mobile). Bien, une fois qu'on sait ça, en réalité on ne sait rien. Je pourrais regarder le nombre de ventes maximales d'un même livre sur les précédentes éditions (bien sûr, cela concerne principalement des nouveautés, des rencontres, des signatures). Cela m'aiderait à me situer sur le stock des lectures au jardin. Au-delà, on sait aussi ce qui sort régulièrement quelle que soit l'année (le fond), on sait aussi ce qui peine à sortir (tout ce qu'on a tendance à accompagner par les mots c'est compliqué)... mais ça ne veut pas dire qu'on ne doit pas en avoir. Il faut faire le tri. Il faut tâcher de trouver des énergies cohérentes. Et puis, fatalement, quand on a fait son choix, sans cesse y revenir parce qu'on a oublié X, Y, ou parce qu'on s'est dit que, finalement, ça (quel que soit ce ça) c'était indispensable de l'avoir.

mardi

Une fois qu'on a pu faire le lundi ce qu'on devait absolument avoir fait le mardi (car après tout on ne sait jamais), s'assurer de finir avant ce qu'on ne pourra sans doute pas finir pendant (quant à après, c'est encore une autre histoire). Dépôt légal num : check. Rapport de septembre à l'équipe : check. Checker les statistiques d'ouverture des mailings de la semaine dernière : check, mais enfin on aurait mieux fait de s'abstenir. On nous a dit récemment de communiquer plus en amont nos nouveautés à la presse et aux libraires (chaque année on nous le dit, chaque année on le fait, bientôt on communiquera sur la rentrée d'hiver pendant la rentrée d'automne et vice versa, la boucle sera bouclée, mais entre : rien). Le mailing à destination des libraires a été ouvert guère plus de 22% du temps. À ce jour (l'espoir est encore permis) personne n'a cliqué pour télécharger ledit catalogue. Comprendre donc cela : quand on fait un mailing pour annoncer nos parutions, on ne peut cibler dans le mail l'ensemble des parutions (autrement il y a trop d'informations, et personne ne retient rien). Donc, il convient de dégager deux ou trois titres dits phares (sic), détaillés dans le message, pendant que l'intégralité des parutions du semestre (et du précédent, puisque compte tenu des circonstances particulières de l'année nous les avons remises) est dans le catalogue à télécharger d'un clic. Un clic, ce n'est quand même pas trop demander. Ce n'est pas en soi un effort.

Apparemment si. Donc pour 78% des libraires qui sont dans nos listings, notre premier semestre 2021 se résumera au mieux à trois titres. Enfin, à supposer bien sûr que par ouvert, l'application en ligne qui gère nos mailing l'interprète comme un temps supérieur ou égal à X secondes et pas juste j'ouvre, je vois l'aperçu, je le mets à la poubelle. Pour le mailing à nos contacts presse (même actualité, le catalogue 2021), c'est un peu mieux : 30% d'ouverture du message. 25% de clic (25% des 100% de départ ou 25% des 30% l'ayant ouvert ?). Quel pourcentage de journalistes, ou médiateurs, passeurs, joyeux curieux animant la vie littéraire et se chargeant de la faire vivre ayant demandé, à la suite du message, des renseignements sur un titre ou un SP papier ? 1% (1% des 100% de départ, pour le coup). Sur l'ensemble d'un service de presse pour un livre donné, quand on compare le nombre de recensions par rapport au nombre d'envois, on tombe à moins de 15% de transformation : 15% des envois ont effectivement donné lieu à des recensions, sous quelque forme que ce soit. Quand on voit le raz de marée qui agite parfois la presse (et/ou la toile) pour un titre chez d'autres, combien d'exemplaires gratuits (or donc non gratuits mais coûteux : frais d'impression, frais d'envoi, temps passé à le faire) doivent être envoyés pour permettre au livre un degré tel de présence qu'il puisse être remarqué, trouvé quand on ne le cherche pas, désiré, découvert ? Et qui (ou plutôt quoi) a les moyens d'une telle présence ? À méditer. Mais enfin,  après cette parenthèse (bien réelle) on peut en revenir à notre Marché (bien trop fictif).

mercredi

Marché donc. Il faut imaginer un train, une valise pleine et qui roule, des sacs surnuméraires accrochés aux flancs d'un mulet (or non, même dans nos rêves pas de mulet), de la peine sans doute un peu à descendre la rue de Rennes une fois quittée la gare mais enfin la place Saint-Sulpice est à côté, et grosso modo c'est en pente. Bien. Nous y sommes, installons le stock, préparons les tables, après avoir passé les barrages filtrant (et hydroalcoolisés). Tout est prêt. Les tables sont installées. Les livres sont là. On fait des photos pour les réseaux. Sur les réseaux les gens se disent oh, il se passe quelque chose (ça peut n'être pas vrai), ils relayent, il y a une émulation. Celles et ceux qui sont présents se disent qu'ils vont passer, les autres plus à distance se disent (ou se rappellent) qu'ils liraient bien tel livre. Désir ! Des commandes sur le site sont passées. C'est un cercle vertueux la présence : ça se voit même quand on n'y est pas. L'annulation du marché dans la vie véritable a bien aussi entravé cela : durant un salon, on ne fait pas que des ventes sur salon, on fait aussi des ventes sur le site, et dans les jours qui suivent des ventes en librairie via les réseaux traditionnels, car l'activité, l'actualité, les photos, les livres en vignettes, les autrices et auteurs heureuses et heureux d'être là ou partageant un moment sympa, ben ça le fait monter ce désir, ça donne envie de lire, ça participe d'un mouvement général. Là, non. Mais revenons à notre vrai-faux marché. Parce que, de fait, le marché du mercredi est nécessairement un vrai-faux Marché : personne. Ou si peu. Dans les allées, pas âme. Ou alors des scolaires (c'est très bien les scolaires, mais enfin les scolaires sont en quête de posters de Rimbaud, il faut le savoir, et chaque année on se rappelle qu'on n'en fait pas). Ou alors des militaires en vadrouille pour Vigipirate. Ou alors des congrégations religieuses parties péleriner pas loin. Ou alors des rafales de vent, de la pluie. Ou alors des éditeurs en retard s'installant en fin d'après-midi parce qu'ils savent bien que le mercredi est un jour pour du beurre. C'est généralement le moment où on se dit, ah ah, le marchand de vin doit se faire plus de chiffre que nous (true story). Des fois on fait des ventes. Mais souvent pas ou peu. On en profite pour rattraper le temps perdu avec les éditeurs voisins à se dire depuis combien de temps on ne s'est pas vu, sans doute depuis le précédent Marché, ah ah (rires). On fait aussi des repérages pour savoir ce qu'on achètera à la dernière minute, le dernier jour, en quatrième vitesse, pour ne pas se ruiner. Ce qu'on n'achètera pas, on le sait, c'est la prix Nobel de littérature 2020 Louise Glück, impubliée en France (en livre tout du moins). On se rattrapera avec les traductions sauvages que propose Sabine Huynh pour la revue Muscle bientôt.

jeudi

Alors le jeudi clairement tout est permis (non, pas du tout). Mais déjà, on se sent moins seul. Le public commence à arriver, même si ça se fait par (petites) vagues. Et puis, globalement, on n'est pas seul. Déjà, se voir en vrai avec Julie, ça n'est pas rien. Se parler chaque semaine au téléphone, c'est une chose, échanger chaque jour ou presque par mail, c'est une chose. Être ensemble, c'est un peu différent, et ça permet d'accorder nos violons, de discuter des stratégies en place (quand il y a des stratégies en place), de se dire il y a encore des choses à expérimenter, on peut faire ci et ça, et si on tentait de, etc. Aussi, les autrices et les auteurs sont là. Ça paraît accessoire, mais dans cette année sans salon, hors quelques micro-occasions festives finalement assez rares, on ne s'est pas vu. Là encore, mail, téléphone parfois, visio de temps à autre, that's it. Se voir, c'est aussi pouvoir se projeter sur des horizons communs (combien de livres à venir se sont construits d'abord au détour d'une conversation, de quelques mots, d'une lecture, d'un repas, d'une recommandation : tiens tu n'as pas lu untel unetelle, c'est génial, etc. ?), c'est pouvoir faire le point sur ce qui va et ne va pas après la sortie d'un livre, d'évoquer telles pistes presse, telles possibilités de rencontre. Ne pas se voir, c'est rester chacun dans notre part du silence. Et quand on reste en silence, rien n'avance, ou du moins quoi qu'il se passe, ça se passe sans soi. Après tout, c'est à la suite d'une lecture proche d'ici, au Jardin du Luxembourg, pour une précédente édition du Marché, que nous avons eu l'idée et l'envie, collective, de nous lancer dans la publication de Retours, le recueil de Fabrizia Ramondino. Cela tombe bien, dans notre vrai-faux Marché in absentia, Emanuela Schiano di Pepe, sa traductrice, et Benoît Vincent rejouent les lectures bilingues qui nous avaient enchantés il y a quelques années. Lectures qui se sont déroulées, il convient de le préciser ici, au coin du feu après avoir terminé la récolte des olives (imaginez-nous donc au beau milieu du jardin du Luxembourg, cernés par les oliviers):

 

vendredi

Vendredi, ça frémit. Les ventes généralement progressent, on est sur une bonne dynamique, il y a de plus en plus de monde dans les allées (un monde fictif et respectant la distanciation et les gestes barrière, bien sûr, nous sommes ici dans le domaine de l'utopie, d'ici la fin du Marché les poètes à écharpe s'écharperont sans doute pour pouvoir distribuer le plus de vaccin anti-covid à des férues et férus de littérature qui pourront dire haut et fort : mais oui, la poésie m'a sauvé la vie), tout va bien. C'est généralement le moment choisi pour un quidam inconnu de nous pour débarquer et nous demander je cherche un recueil de sonnets à la gloire du Gypaète barbu, vous auriez ça ? (et bien sûr qu'on a ça, ah ah, en fait non), voire d'un habitué qui, jadis, était un quidam inconnu de nous et qui, à force de venir à notre stand chaque année, et d'acheter et lire nos livres chaque année, revenant l'année suivante comme un rendez-vous incontournable pour nous demander nos nouveautés, est devenu cela, un habitué. Là on aurait pu lui dire, voici Doucement (!). Ou, voici Sœur(s). Ou, voici (en avant-première) L'enfant poisson-chat. Ou encore, voici Les présents. Ou bien sûr, vous connaissez Louise AckermannQu'en est-il cette année ? Sauront-ils nous trouver, ceux qui ont rendez-vous avec nous chaque année sans trop savoir qu'ils ont rendez-vous avec nous chaque année ? Comment tâcher de nous rencontrer sans lieu, sans espace, sans jardin partagé ? En essayant de déplacer l'espace vers les vastes paysages du web lui-même, puisqu'en venir c'est aussi savoir y retourner sans cesse. Et c'est ce que nous ferons ce soir, avec cette rencontre de poésie virtuelle (formulation un peu torve permettant de ne pas dire clairement qui est virtuelle, de la poésie ou de la rencontre, et pourquoi) en compagnie de Katia Bouchoueva et Emanuela Schiano di Pepe, le tout accompagné par Virginie Gautier, qui traditionnellement nous rejoint là, maintenant, au Marché : le vendredi, comme quoi les choses tombent bien (si ce n'est quelque tempête qui nous privera d'Emanuela pendant une partie de la rencontre).

samedi

Le samedi voilà, on y est, c'est le vrai truc. Les allées sont blindées de monde (heureusement que les vaccins anti-covid circulent, ils se présentent sous la forme de vers à déclamer à l'apéro, manifestement), on est constamment entourés, c'est un bel après-midi d'été d''automne, il y a des lectures (or donc du public pour les écouter), il y a des apéros (or donc du monde sur le stand et des livres à venter et à vendre) : c'est généralement le pic d'activité du salon. On voit aussi des libraires (parfois), des journalistes ou des chroniqueurs web (souvent), à qui c'est l'occasion de transmettre directement, en main propre, des exemplaires de presse des nouveautés ou des titres à venir, et c'est toujours pour personnel (et chaleureux, et moins coûteux) que d'envoyer un livre sous enveloppe à bulles. Raison sans doute pour laquelle Florence Trocmé se retrouve cette semaine, faute de Marché, à faire le Marché dans sa boite aux lettres :

Durant nos lectures, on se dispose en cercle autours des autrices et des auteurs et, sous les arbres et traditionnellement à portée d'un évènement incongru mais pas impoétique, la magie s'opère. Cet après-midi, ce pourrait être une lecture d'Antonin Crenn :

dimanche

Dernier jour, assez semblable au précédent en terme de fréquentation. On commence à fatiguer et/ou à respirer d'avoir vendu la veille suffisamment pour se dire que cette édition sera un succès. Cette année, pour le dernier jour, nous aurions souhaité (mais donc ce ne fut pas possible) dédoubler nos lectures au jardin, d'autant que les conditions d'accueil (10 ou 6 personnes maximum par lectrice ou lecteur) et d'écoute (masque pour les intervenants) auraient rendu les choses fastidieuses. Mais possibles néanmoins. On aurait pu donc partir, tout en ne bougeant pas. On aurait pu voyager, tout en restant dans l'enceinte du Jardin. On aurait pu chercher des avenirs meilleurs (en tout cas autres). Arpenter, par exemple, le Paysage augmenté de Virginie Gautier et Mathilde Roux, accompagnées ici dans cette capsule sonore du plus bel effet, et comme qui dirait nous étant adressée depuis l'avenir, par Michel Bertier.

Le plus souvent, la dernière heure du Marché, on se retrouve à remballer tout en servant les dernières commandes à des clients pressés faisant des achats impulsifs avant que la poésie disparaisse des tables et s'absentent des allées pour un an. On pourrait se dire : la poésie, on la retrouvera ailleurs, vivante sous d'autres formes, arpentant d'autres espaces. Oui sans doute, mais avec quelle visibilité ? On le voit cette semaine, ce fut très compliqué de faire vivre quelque chose qui, de fait, ne vivait pas. Non pas faire semblant, mais se créer un espace. Un espace à soi ? C'est ce que nous avons tenté de faire, toujours, sous la forme d'un long fil Twitter qui connecte entre elles des pastilles (sonores, textuelles, vidéo) accessible ici et que ce présent carnet de bord vient conclure (ouroboros), parce que c'était écrit.