Carnet de bord 2020, semaine 33 16 août 2020 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : , , , , , , ,

publie.net, le feuilleton, à retrouver chaque semaine, par GV.

lundi

Comme dans Des étés Camembertil fait dans la vie une chaleur insoutenable. Il faut donc imaginer la voix lisant ce carnet de bord comme fondue, un carnet de bord oublié dans une casette audio elle-même négligemment posée sur la plage arrière d'une voiture en plein soleil, à l'été 1993 ou quelque chose d'approchant. C'est nécessairement faux : si insoutenable elle l'était, on ne serait pas là en état d'écrire qu'elle l'est. C'est censé nous remonter le moral que de le réaliser (trop bien, c'est soutenable !) mais en réalité non. Non, mais le reste tourne à peu près : nouvel abonnement ce week-end, des commandes sur le site. Des commandes Amazon au compte-goutte ponctuées de retours Amazon au compte-goutte. Quand c'est une actualisation du stock X mois après parution d'une nouveauté, on peu comprendre les retours. Quand c'est sur un titre de fond dont on sait qu'il va être recommandé pour approvisionner une commande dans moins de quinze jours (je prends les paris), ça nous gave. À qui dire que ça nous gave ? À nous-mêmes, pour commencer. Puis, dans un second temps, à ce carnet de bord. D'autres trucs sont tout à fait susceptibles de nous gaver, bien que n'étant pas insoutenables non plus : c'est l'augmentation des coûts. Fin 2019, nous avions eu chez notre imprimeur une hausse des prix d'impression due à la hausse des matères premières (en l'occurrence ici la pâte à papier). Bien. Là, c'est une nouvelle hausse, plus pernicieuse, sur l'ensemble de la grille tarifaire (qui peut parfois baisser, mais enfin sur des gabarits qui a priori nous concernent peu) prévue pour l'année prochaine, du fait d'un alignement des tarifs de Lightning Source France sur ses homologues américains, britanniques et australiens (sic). Au fond peu importe les origines du pourquoi, le pourquoi lui-même et le comment ; il faut juste se dire que ça peut être de nature à nous plomber un peu. Sur le fameux gâteau dans l'édition, tout le monde cherche à se ménager une meilleure part. Mais si tu cherches à avoir plus, tu le fais au détriment des autres acteurs de la chaîne. L'imprimeur augmente ses tarifs, le libraire demande une remise plus importante, l'éditeur rogne sur les droits d'auteur (voire ne les paye pas du tout, comme ça au moins c'est vite vu), l'auteur revendique un meilleur taux de DA ou d'à-valoir, le distributeur, le diffuseur ou l'imprimeur revoient leur marge à la hausse par des moyens dérivés (maintien des titres au catalogue, dépôt de garantie pour les retours à venir, etc). Comment faire vivre mieux tout le monde ? L'autre solution consisterait à augmenter le gâteau et à faire en sorte que le montant général des ventes s'accroisse, par exemple en augmentant le prix du livre (qui est déjà bien cher). Mais à partir de quel prix faut-il considérer que tous les acteurs de la chaîne sont dignement rétribués ? Et comment le justifier auprès des lectrices et des lecteurs, dont bon nombre n'ont même pas les moyens de se payer régulièrement des livres neufs grands formats en librairie ? Un modèle intéressant à explorer serait de considérer trois étages divergents en terme de formats : une version web en libre accès gratuitement (un genre de service de presse à ciel ouvert), une version numérique (epub et/ou pdf) au prix du poche (ce que nous pratiquons déjà), un livre papier pensé comme un objet de collection, avec un façonnage soigné, à un prix nettement supérieur. De fait, ce n'est pas une proposition neuve : mis à part l'aspect beau livre, un éditeur comme Abrüpt le pratique déjà. De plus, ce n'est pas réellement soluble dans la POD. Ce n'est donc qu'une rêverie passagère. Mais une rêverie néanmoins. Des solutions, des propositions, des espoirs, il y en a. Mais des solutions qui satisfairaient tout le monde, peu.

mardi

Virginie Gautier et Jean-Yves Fick ont travaillé ces dernières semaines sur le prochain recueil de Sébastien Ménard qui paraîtra dans la collection L'esquif en février prochain. Je relis le texte après leurs X allers-retours et je lis :

j'accueille
le dernier sun
de l’année
et le premier
avec la même fraîcheur

Qu'en est-il du énième, celui du 11 août 14h47 par exemple ? Pas de fraicheur en lui. Pas de fraicheur en moi. Il faut pourtant que j'érige le brouillon du catalogue du prochain semestre (le catalogue du prochain semestre c'est Sisyphe ; il faut imaginer Sisyphe en papier glacé, quoique ne nous rafraîchissant pas). Tout va bien ceci dit : plus loin dans le recueil on débouche ni plus ni moins que sur le dit des pluies. Qui a dit que la poésie ne pouvait pas résoudre tout ou partie de nos problèmes ? Quand soudain : Jean Castex annonce une prolongation des interdictions de rassemblements supérieurs à 5000 personnes jusqu'au 30 octobre (et là la poésie semble-t-il a cessé de résoudre les problèmes pour au contraire en poser : quid du marché du même nom prévu en théorie à la fin de ce mois, n'accueillant pas nécessairement 5000 personnes en même temps mais en cumulé sur l'ensemble du salon oui ?).

mercredi

Quand tu écris quelque part que L'homme heureux est l'œuvre de Joachim Phoenix, et non Joachim Séné (dont je vous invite à visiter le site réinventé), c'est probablement

  1. qu'il fait trop chaud
  2. que tu t'es levé trop tôt
  3. que la coupure de courant ayant conduit à une coupure d'internet pendant mille ans aujourd'hui est en réalité une coupure de connexion neuronale
  4. qu'il est l'heure de manger quelque chose
  5. un subtile mélange de tout ça

Mais bon, après tout, qui peut savoir ? L'homme heureux, ce pourrait bien être le Joker après tout. De mon côté, retour sur le manuscrit du premier roman de Juliette Cortese, que nous sortirons au deuxième trimestre 2021, la quatrième version. Le texte a bougé et il convient de prendre le pouls des énergies qui y circulent, et voir comment elles évoluent, ce qui tient bien, ce qui nécessitera retouches. Le texte a bien avancé et Juliette m'écrit cette phrase que je trouve très juste :

Penser à des vrai.e.s lecteurs et lectrices m'a permis de retrouver, je crois, une forme de distance au texte. Et de chercher un point d'équilibre entre poésie et récit, entre nébulosité et narration.

Beau programme.

jeudi

Des retours au compte-goutte d'Amazon encore. De fait, l'été est la période propice aux retours (faire de la place pour la rentrée) mais là les librairies indépendantes sont très économes à ce niveau (hors un cas de stock pour une rencontre il y a mille ans), soit qu'elles mesurent la difficulté de la situation, soit qu'elles aient moins commandé au premier semestre (et pour cause). Semble-t-il, c'est un subtile mélange des deux. Mais Amazon n'a pas d'impératif de place, ou en tout cas moins qu'une librairie physique. Amazon ne prend toujours pas les nouveautés. Mais, donc, fait des retours. L'autorisation des retours, elle avait pour but de favoriser le placement en librairie. Quand un librairie indé nous fait des retours, on ne saute certes pas au plafond, mais on se dit au moins que le livre a eu une (petite) chance, une occasion de rencontrer ses lecteurs (du moins on l'espère). Là non. C'est juste un flux, un chiffre, une donnée. C'est un jeu d'écriture. Il vaut mieux revenir, de toute façon, au réel jeu de l'écriture, qui est celui de la littérature à proprement parler. C'est ce que je fais avec le texte de Juliette. Ce faisant, je me dis parfois : le job de l'éditeur, c'est de dire ce n'est pas assez clair ici, il faudrait reprendre ce passage puis, plus tard, au même endroit, c'est trop frontal là, on dit trop de choses, il vaudrait mieux rester dans le non-dit. Il n'est pas impossible d'en conclure que je sois un éternel insatisfait. Il est aussi possible d'interpréter ça de la façon suivante : le bon équilibre se situe sur un fil ténu. Quelque part, chez Prosper comme souvent, nous marchons aussi sur ce fil ténu Antonin et moi pour défaire (ou refaire) le monde des livres et des écritures qui nous touchent. Les saisons ont l'air de défiler autour de nous sous les caprices de la météo, c'est donc que nous sommes dans une zone trouble où le temps s'écoule différemment (il faut dire que Les présents se rapprochent) ; je lui demande on est jeudi ou vendredi ? parce que ce n'est pas très clair finalement. Il me répond. Je suis fixé.

vendredi

J'ai fait livrer des Présents chez Roxane en calculant précisément le timing parfait pour qu'elle puisse les recevoir à son retour. Pour ce type de retrait, il faut généralement compter une semaine, je les ai donc passés mardi. Sauf que dans mon timing parfait j'ai oublié une donnée au problème : si ces retraits prennent une semaine, c'est que l'imprimeur LSF doit imprimer les livres et les transmettre à Hachette distribution et ce changement d'entrepôts prend finalement plus de temps qu'une livraison en librairie (mais soit). Sauf que là, les livres sont déjà imprimés et en stock chez Hachette. La livraison est donc intervenue hier, dit le suivi, avant son retour. Shit. Bon, c'est un faux problème et tout est rentré dans l'ordre vite. De même que le catalogue, d'ailleurs : il est rentré dans l'ordre vite. En fait, je l'ai fini mardi. Ma deadline était aujourd'hui. Roxane le reprendra après son retour, j'ai donc tout naturellement laissé traîner jusqu'à la deadline. Pour vivre dangereusement ? Ou pour avancer ailleurs en parallèle. On ne saura pas.