Carnet de bord 2019, semaine 31 4 août 2019 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : , , , , , , , , , ,

publie.net, le feuilleton, à retrouver chaque semaine, par GV.

lundi

La reprise passe d'abord par un retour aux mails non lus : plus de 250 en mon absence. Trier déjà. Puis remonter des langues de temps fossilisées, des bribes de conversation passées, périmées presque, en tout cas plus d'immédiate actualité. Il y a eu des retours d'invendus cette deuxième quinzaine de juillets. Pas dans des proportions délirantes mais plus que d'habitude. C'est la période. On sent qu'on fait de la place pour la rentrée. C'est comme ça, j'imagine, tous les ans. Là, les dix meilleures ventes GFK sur l'ensemble des libraires dans la catégorie littérature générale sont : Guillaume Musso, La jeune fille et la nuit – Raphaëlle Giordano, Les jours où les lions mangeront de la salade verte – Valérie Perrin, Changer l'eau des fleurs – Virginie Grimaldi, Il est grand temps de rallumer les étoiles – Marc Levy, Une fille comme elle – Nicolas Sarkozy, Passion – Joël Dicker, La disparition de Stéphanie Mailer – Franck Thilliez, Le manuscrit inachevé – Laetitia Colombani, La tresse – Marc Levy, Ghost in love. Preuve que rien n'a changé pendant mon absence.

 

mardi

Ces derniers jours, nous avons finalisé l'abonnement d'une nouvelle bibliothèque : la bibliothèque universitaire de Montréal. C'est une excellente nouvelle et nous sommes ravis de l'accueillir parmi nos bibliothèques abonnées. Nos premiers échanges avec Montréal remontent mine de rien à septembre 2015, réactivés fin 2017 avec la création d'un accès test à notre plateforme au début de l'année suivante. Si je détaille ce parcours-là, c'est qu'au fond le dialogue avec les bibliothèques correspond à un temps long, bien différent de la plupart des cycles (travail éditorial, production, fabrication, parution) de nos livres. Notre offre, elle, qui compte deux versants, l'un pour l'accès aux fichiers directement pour les bibliothèques (par exemple pour l'installation de livres numériques sur des liseuses ou tablettes de prêt), l'autre pour le raccordement à une plateforme d'accès à distance pour les usagers, dispose désormais de trois modes d'authentification différents en fonction des usages des établissements (SSO, serveur CAS et reconnaissance d'IP). Ce n'est pas rien. C'est même assez fou que nous ayons réussi à developper ça au sein de notre propre plateforme, au fil du temps. Dans les mois qui viennent paraitra un ouvrage aux Presses de l'ENSSIB sur la lecture numérique en bibliothèque, dirigé par Franck Queyraud en charge des médiations numériques au sein des médiathèques de Strasbourg. Nous en sommes aux dernières corrections avant le bon à tirer et à un moment je me retrouve à écrire je préfère que nous ne communiquions pas ces données dans le détail. Plus tard, il me répondra ceci :  J'ai ajouté une note de bas de page pour signaler les carnets de bord, qui permettront aux lecteurs les plus motivés de suivre la vie d'une maison d'édition... je trouve cela passionnant, pour ma part. Je le reporte ici non par flagornerie mais pour m'aider à poursuivre ce Carnet de bord qui, ces jours-ici, en période de reprise, tire un peu.

 

mercredi

Découverte des épreuves de Paysage augmenté envoyé par Julie. Je dis toujours que c'est émouvant de voir un livre sortir d'un fil d'écran en deux dimensions et éprouver le contact des mains, des yeux, du toucher. C'est que ça doit être vrai.

Je suis dans ça, dans la désorientation des pages, dans l'oubli du territoire au sein même de la carte. Un territoire autre. À la fin, la postface d'Alexandre Chollier est en fond noir, police blanche. C'était une envie de Roxane, je crois. Ça rend très bien. La fin du monde d'Al teatro, tome 4 (Pur sang), est, elle, écrite sur des pages blanches, avec une police noire. C'est plus logique comme ça. Je relis. J'en aurai sans doute pour le restant de la semaine. C'est long ou alors, non, c'est moi qui suis lent. J'écris ici ou là qu'il faut centrer l'étoile (sic). N'en est-on tous pas un peu là ? Il y a des mails à envoyer aussi, je le fais. Un peu sèchement je pense. Je reçois en retour l'écho de plusieurs out-of-office, ces réponses automatiques par email qui ne cessent de répéter à qui veut l'entendre (ou le lire) la même chose, absence du tant au tant. Est-ce si grave d'être absent ? De ne pas répondre dans l'instant ? De laisser le temps se défaire ? De n'être pas réactifs ? Ça ne sert à rien d'avoir une voix hors soi qui dit à notre place qu'on n'est pas là. Être pas là, c'est quelque chose dont on n'a pas besoin d'avoir la preuve. Surtout à cette période de l'année. Être pas là, ça se suffit à soi-même. Par exemple, quand je relis Paysage augmenté, je n'y suis pour personne (et surtout pas moi-même).

 

jeudi

En continuant de relire Pur sang, le dernier volet de la tétralogie Al Teatro de Stéphanie Benson, j'ai trouvé l'extrait qu'il me fallait pour la quatrième de couverture. Le voici :

À quoi ils jouaient, tous ? Quelles forces manipulaient-ils sans connaître ni leur portée ni leurs efets à long terme ? Pierre et Marie Curie, à force de jouer avec la radioactivité, étaient morts de cancer. Mais eux, aujourd’hui, que risquaient-ils dans cette aventure ? Quels pièges les attendaient dans le vide du réel, surtout avec Milton tapi dans un coin ?

Une quatrième de couverture, c'est difficile à composer. Pas à écrire mais à composer. Comme si tous les ingrédients étaient déjà là avant qu'on y mette les mains mais qu'il fallait en sélectionner les courants principaux et les étalonner dans le bon ordre pour obtenir un flux à la fois cohérent, fort et qui suscite le désir. J'ai changé de métaphore entre le début et la fin de ma phrase mais tout le reste est vrai. Pendant que nous étions à Lourdes avec Antonin, et avec Julie et Stéphane, à la librairie, nous avons parlé de ces quatrièmes de couverture et de ces argumentaires commerciaux qui surventent (sic) en permanence le chef d'œuvre. Mais quand tout est toujours génial, jouissif, jubilatoire, quand tous les romans qui paraissent sont des ovnis, quand de tous les livres on n'en sort pas indemne, en réalité tout se vaut. Et génial, rien ne l'est. Tout est alors étalonné sur la même ligne, une ligne fictive d'émerveillement permanent et, le plus souvent, très périssable. Et, derrière, les livres sont en plastique. Ou cultivés sous serres. Choisissez la métaphore qui vous convient le mieux. Bien sûr, on ne trouvera jamais dans une quatrième de couverture que c'est sympa sans plus. Il ne faut pas me faire dire ce que je n'ai pas dit (ce qui, est en soi, un autre clichés langagier). En réalité, le problème est autre. Il faut pouvoir susciter le désir tout en disant quelque chose de pertinent sur la matière même du livre. Et ne pas bullshiter ; souvent, dans cet execercice, bullshiter revient à utiliser des mots, des formules, des segments entiers de phrases qui ne sont pas les nôtres, qui ne sont que des resucées d'autres discours commerciaux (ce sont donc des discours commerciaux au carré, imaginez donc). Par exemple, dans Pur sang, les mots clés à éviter sont les suivants : apothéose, final haletant, dernier espoir de l'humanité, plus rien à perdre, couper le souffle. Il faudrait pouvoir écrire une quatrième de couverture (et, au-delà, toute forme de chronique littéraire en définitive) comme on s'adresserait à un proche, tout simplement pour lui dire je pense que c'est pour toi. Ça n'a pas besoin d'être beaucoup plus que ça. Ce n'est pas pour tout le monde. Et ce n'est pas grave de n'être pas pour tout le monde. Le plus important, c'est de rester sincère. Et il n'y a pas besoin d'en faire des caisses, des pages. Des fois, en quelques phrases, ça peut suffire. Ça touche juste. La quatrième de couverture que je préfère au monde est celle de Joyeux animaux de la misère, de Pierre Guyotat. On peut la lire ici, sur le site de Gallimard. Ce n'est pas un argumentaire d'éditeur, c'est lui qui la signe. Elle ne dit presque rien du livre (je pense surtout au tout premier paragraphe), et en même temps elle en constitue le faisceau. En fait, c'est probablement ce qu'il ne faut surtout pas faire (mais les grands livres sont des exemples toujours recommencés de trucs qu'il ne faut pas faire qui sont bien faits). Pourquoi ? Parce qu'elle dresse un décor fascinant qui est absent du livre. Le livre lui-même, c'est le discours. La quatrième de couverture, c'est le décor, et le décor est hors-champ. Tout se déroule dans cet espace et pourtant, dans le livre, l'espace n'est pas visible. Et, fondamentalement, cette énergie qui est décrite quand on retourne le livre, elle est semblable à la lumière : on ne la voit que lorsqu'elle en vient à frapper la matière. Le reste du temps, bien qu'elle soit là, on ne la voit pas. Et dans le livre, c'est la même chose. On sait que ce décor existe mais on ne le voit pas, on ne peut que le sentir imprégnant chaque mot du discours. C'est assez fort en réalité. C'est transformer le territoire même de la quatrième, qui est un espace de promotion, en terrain de création littéraire. C'est un matériau pour la scène mais sans scène. Ou alors, c'est qu'elle est elle-même la matière de ce livre. Je ne suis pas sûr d'être clair. Est-ce que ça m'aide à écrire celle de Pur sang ? Non. Mais ça n'était pas le but.

 

vendredi

Poursuivant son voyage sur les pas de Montaigne, Lou Sarabadzic est désormais en Italie. J'ai rattrapé une partie de mon retard sur le site consacré à ce projet cette semaine. Être seule, n'être pas seule. Être une femme, être en mouvement. Être soi-même et dans les pas de quelqu'un d'autre et, tout cela, l'être par dessus tout dans le temps. Ici, par exemple, elle écrit : Je voudrais vivre sans faire autant attention. Mon corps comme véhicule, comme partenaire. Pas comme un risque. Ailleurs : J'aurai l'eau et l'ombre percée des arbres pour moi seule, puis il faudra repartir. Bientôt, je recevrai la première version d'une partie du manuscrit. C'était le deal. Suivre le texte au fur et à mesure de son écriture, ce qui n'est pas dans nos habitudes. Je me demande ce que je vais y trouver et, en même temps, je sais ce que je m'apprête à lire. C'est une drôle d'impression. Alors qu'avec le recueil de Fabrizia Ramondino, c'est le contraire : le texte a (bien) avancé sans moi, entre les relectures de Virginie, Philippe et Emanuela (pour Pur sang, j'écris à Stéphanie Benson et à Roxane en renvoyant le texte annoté que j'ai un problème avec la télépathie). Je reprends le manuscrit, qui est un champ de bataille fait de notes et de dialogues au plus près du texte. À un moment, Ramondino écrit : ma langue est impoétique et bizarre. S'en servir. Là, il y a beaucoup de vignettes et de tiges qui les relient aux poèmes. C'est assez beau.