Carnet de bord 2019, semaine 27 7 juillet 2019 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : , , , , , , , , , , ,

publie.net, le feuilleton, à retrouver chaque semaine, par GV.

lundi

Depuis quelques jours, les ventes en librairie c'est Waterloo. Plus de commandes. Peu. Exemplaire par exemplaire. Le plus souvent amoindri par quelques retours au compte-goutte. C'est mort, quoi. C'est une impression de savane avant l'assaut des grands prédateurs : tout le monde se regarde, se fait le plus petit possible, reste sur ses gardes pour pouvoir détaler au moindre son pour disparaître au loin. C'est qu'en réalité, tous les regards sont tournés vers LA RENTRÉE LITTÉRAIRE™. Après tout nous aussi. Sauf que non, c'est encore d'autres temps plus lointains qui s'instaurent, et là par exemple j'ai inscrit dans l'agenda les mots planning 2020. Et c'est comme les élections présidentielles cette histoire : à peine les résultats éclos, voilà que les analystes sur les plateaux télé en sont déjà à anticiper le prochain scrutin cinq ans plus tard (notons que cette métaphore fonctionne aussi dans une variante coupe de monde de foot). Mais je n'ai pas le temps de m'en désespérer car d'autres désespoirs sont en approche. Suite à quelques soucis techniques sur l'ordinateur que j'utilise au quotidien, je m'étais dit que ce serait une bonne chose de faire des sauvegardes. On travaille en permanence avec des fichiers partagés à plusieurs, pas de souci de ce côté-là (sauf quand, bien sûr, et bien sûr que ça arrive, la synchronisation bugue). Mais j'ai aussi beaucoup de choses en local. 23 Giga pour être précis. Ne me demandez pas ce qui pèse si lourd, je n'en sais rien (Roxane me dit les archives et les recherches de couv : oui pour les archives, non pour les recherches de couv, que je ne garde pas sur cet ordi). Mais voilà-t-y-pas qu'en faisant précisément cette sauvegarde, l'ordinateur plante. C'est le principe de la tragédie : on met tout en œuvre pour éviter l'issue connue d'avance et ce sont en réalité nos efforts censés nous en préserver qui nous précipitent dans l'abime (notons que la métaphore élections présidentielles fonctionnent aussi dans ce cas présent, et alors là l'issue n'en est rien de moins que la fin de la civilisation humaine, qu'est-ce qu'on rigole dans le carnet de bord). Je vous la fais courte, j'ai réussi à reprendre le contrôle sur ce qui avait décidé que j'en aurai plus, et donc à sauver (et dupliquer finalement) ces 23 Giga de publienetterie (ce qui me rappelle qu'un jour, m'entendant prononcer le nom de la maison d'édition à voix haute, quelqu'un qui ne la connaissait pas m'avait dit, ayant mal compris, plombinette ? et en voilà un beau nom de maison d'édition, les amis, je ferme la parenthèse). Mais bien sûr, pendant que je faisais ça, je ne faisais pas autre chose (c'est une tautologie). Après, pendant tout une partie de l'après-midi à travailler sur un texte de Christophe Grossi au titre encore non-définitif, deux mois après le moment dans mon planning non-2020 où j'avais prévu de m'y atteler, je passe mon temps à faire commande S pour sauvegarder frénétiquement toutes les cinq minutes, des fois que quelque chose (n'importe quoi !) se perde. À chaque nouveau commentaire, quoi. C'est plus sûr. Et, pendant que je fais tout ça, c'est-à-dire que je suis dans la fixité la plus totale, j'ai une pensée pour Lou Sarabadzic qui, elle, en mouvement, se lance dans son voyage non pas autour de sa chambre mais de Montaigne, et c'est à suivre ici (la photo vient de là).

mardi

Évidemment, depuis que j'ai écrit que les ventes en librairie stagnaient hier, la notification d'aujourd'hui (qui concerne donc en réalité les ventes de la veille, et le fichier d'hier celles du week-end passé) redémarre. Là, c'est une vingtaine de livres. Il faudrait se plaindre plus souvent (mais ne le faites pas chez vous, ces cascades sont réalisées ici par des professionnels de l'insatisfaction) ! Mais l'accès aux stats, qui bugue depuis la fin de semaine dernière, donne des chiffres étranges, avec des retours semble-t-il qui n'étaient pas dans le fichier de départ et qu'on comptabilise comme divers. C'est déjà arrivé par le passé : livres passés en retour mais non identifiés. Il y aurait donc effectivement, dans l'édition, des OVNIs ? Les quatrièmes de couverture et les articles de presse n'auraient pas menti ? Mais qu'est-ce que ça veut dire dans les faits, divers ? Des livres mal scannés ? Mais dans ce cas, pourquoi les métadonnées (comme le prix pour commencer) sont, elles, bien tombées dans le pipeline ? On ne saura pas. C'est un genre de mystère moderne de la chaîne du livre. Point téléphonique du mardi, Julie qui est sur le suivi des envois de catalogues, rame : si tu ne tombes pas sur la personne qui a ouvert le courrier, le catalogue a disparu... On ne désespère pas.

Je termine ma relecture de l'épreuve d'Ambiance garantie en début d'après-midi et je décide d'éradiquer le féroce de ma quatrième (cf. semaine dernière). Réponse de Xavier : pour le remplacer par jubilatoire ? C'est une idée. Le reste, ce sont vraiment des détails, virgules, guillemets, insécables, ce genre de trucs. Le nom de l'auteur et le titre me paraissent un peu gros sur le dos, à voir ce qu'en pensent les autres. À un moment donné, il y a une erreur dans une référence à une chanson très tendance en ce moment, faut-il la corriger ou bien était-ce une façon de s'en défaire ? Je m'en vais aussi vérifier des points de grammaire assez basiques car, à ce stade de la parution du livre, des doutes remontent en moi comme les maladies du siècle dernier dans l'atmosphère après le dégel du permafrost. Mais ça va, je me rassure moi-même. Le problème, car problème il y a, c'est que l'épreuve envoyée à Xavier Briend en milieu de semaine dernière ne lui est jamais arrivée. Texto de lui qui me dit qu'il est à la BNF, on pourrait s'y trouver pour que je lui en remette un exemplaire en mains propres ? Et c'est ce que nous faisons, si bien que si quelqu'un nous observe de loin (moi lui remettre un mystérieux paquet dans une enveloppe et lui la prendre), on pourrait prendre notre rencontre pour un moment de transaction illicite (et ce serait, au fond, follement aventureux de le faire dans les couloirs de la BNF, au nez et à la barbe de tout un chacun, près des globes, mais après tout chez les poètes, ça a déjà dû arriver). Derrière, parler du livre, bien sûr, mais pas que. Par exemple d'Annie Ernaux ou de Malcolm Knox, dont Asphalte a réédité le superbe Shangri-la, roman que m'avait en son temps chaudement recommandé Christophe Grossi (et comme l'écrit Paul Auster dans je crois Moon Palace tout est connecté). Alors, du coup, c'est revenir sur le texte de Christophe. J'avais la sensation qu'hier, où j'ai relu toute la première partie, je n'étais pas en phase. Quelque chose clochait. Non pas le texte mais moi. Alors j'ai tout repris, toute cette première partie déjà relue hier, mais cette fois sur une autre machine, dans un autre format, et avec une autre distance. Ça allait mieux déjà. Aussi, pour une raison toute bête, qui est que j'étais comme coupé du monde, comprendre de l'ordi, comprendre, des notifications X ou Y qui pleuvent en continu sur notre monde. J'avais besoin de me plonger dedans, de m'isoler dedans, et d'en saisir plus finement les énergies, les courants sous-marins, les mouvements. Et là, je peux dire que oui, j'y suis.

mercredi

L'heure est venue de déposer les fichiers à l'imprimeur pour Paysage augmenté, qui est allé jusqu'à la V10 aujourd'hui (je crois que c'est un record.

...écrit Virginie pour son BAT. Derrière, ce sera une histoire de planning des uns et des autres : le temps que le texte passe en production côté Lightning Source, et si on tient compte du temps d'expédition / livraison, je serai déjà loin de Paris lorsque le livre arrivera. Roxane, elle, déménage à peu près à ce moment-là (si vous voulez l'aider à faire diminuer son stock publie.net d'ici-là vous savez ce qu'il vous reste à faire !). Ce sera donc Julie qui réceptionnera les épreuves et les redispatchera depuis Lourdes. Pendant un moment, on échange avec Joachim : le mail envoyé samedi avec mes retours sur Hh a été censuré par Google qui voit d'un mauvais œil que l'on tente via la littérature de DÉTRUIRE INTERNET (mais nous veillons). Par contre, impossible de remettre la main sur ce livre dont je lui avais dit, pendant le Marché de la poésie, qu'il fallait absolument que je le lui prête. Je me revois lui dire ça, mais c'était quoi déjà ? Ce n'était pas Grégoire Bouillier, dont je parle à peu près tout le monde en ce moment (Le Dossier M paru chez Flammarion), hier déjà à Xavier Briend, aujourd'hui dans un mail à Antonin. Ça me reviendra (ou pas).

C'est vrai qu'on un problème pour prévoir les livres à l'avance et être un peu plus à notre aise dans notre travail au quotidien. Il y a plein de raisons à cela, la première d'entre elles correspond sans doute au nombre de textes que nous publions (entre 20 et 25 chaque année), assez conséquent pour une petite équipe. Mais ce n'est pas de ça dont j'ai envie de parler. Si on regarde de plus près, il y a toujours une forme d'inconfort dans le processus de publication. Ou pour le dire de façon plus précise encore, il y a toujours une forme d'inconfort pour quelqu'un. Quand on a une deadline hyper serrée pour boucler un livre (ce qui arrive assez souvent, on ne va pas se mentir), c'est notre travail au quotidien qui est fait dans l'urgence, et donc dans une certaine mesure contraint. Mais combien d'autres éditeurs sur Terre prononcent (ou écrivent) la phrase notre planning de parution est bouclé pour les deux, trois années à venir ? Dans ce cas-là, la zone d'inconfort, si elle existe, se déplace sur l'auteur.e, qui va voir un délai conséquent séparer le moment où le livre est fini d'écrire du moment où celui-ci est rendu disponible à la lecture. Plus ce laps de temps est ample, plus l'auteur.e se retrouve littéralement à distance de son propre livre (entre temps il ou elle a pu déjà en écrire d'autres ou avancer dans d'autres directions avec d'autres projets), et plus ça peut être difficile tout simplement de s'y reconnaître et par conséquent parfois de le défendre. Mais de l'autre côté de la chaîne, puisque c'est comme ça qu'on l'appelle, il faut de plus en plus avoir les livres à l'avance, soit pour faciliter le travail de diffusion (nous sommes un éditeur auto-diffusé, nous ne sommes donc pas soumis aux réunions commerciales de présentation de nos livres à quiconque), soit pour permettre aux critiques et journalistes d'avoir les textes en main le plus tôt possible (et pour des périodes clés comme la LA RENTRÉE LITTÉRAIRE™ c'est de plus en plus tôt d'année en année). Si bien qu'on en arrive à des situations absurdes où des papiers commencent à paraître dès le mois de juin pour nous prédire ce qui va marcher à la rentrée prochaine, deux ou trois mois avant qu'elle se produise (et là on est en droit de se dire mais tiens tiens, tout serait donc écrit à l'avance avant même que le premier exemplaire soit vendu ?). Tout ça pour dire qu'il n'y a pas de formule idéale. Ce que le publie.net des premières années avait essayé de mettre en place, en explorant les possibilités nouvelles offertes par la publication numérique (parution rapide, s'extraire des lourdeurs des plannings de publication de l'édition traditionnelle, possibilité de retours sur le texte et correction de façon très fluide), était une belle idée, et sans doute une utopie d'auteur. Mais c'est difficilement soluble dans le reste de ce qu'on appelle (encore) la chaîne du livre.

jeudi

 

Là, il faut se dire que j'ai désactivé le wifi pour ne plus sortir du texte de Christophe. À un moment donné ça m'a aidé. J'aimerais finir avant la fin de la semaine. Je fais face à une espèce de dilemme, qui en réalité n'est pas un dilemme : on trouve beaucoup de passages non ponctués, des genres d'accumulations fulgurantes sans virgule, évidemment ce n'est pas un problème en soi, mais à ce moment-là du travail sur le livre il convient quand même de vérifier si c'est bien un choix esthétique et non un oubli. Il y a 99% de probabilité pour que ce ne soit pas un oubli, je le sais, on le sait, tout le monde le sait, ou plutôt non, tout le monde pense le savoir. Alors je liste ces passages par le biais des surlignements et des bulles de commentaire pour vérifier, au cas par cas, si c'est bien un choix. Juste au cas où. Au début, je dis ça en toutes lettres, mais comme la scène se répète de nombreuses fois, je finis par adopter un genre de gloubiboulga laconique au possible : virgule-checking. À un moment donné, j'ai une impression de déjà vu. Évidemment, ce texte, ce n'est pas la première fois que je le lis (et il y a de fortes chances aussi pour que, pour certaines parties du moins, la première fois que je les ai lues, ce n'était déjà pas la première, il y a eu des mises en ligne antérieures, et donc potentiellement des lectures de ma part), ça n'a donc rien de si surprenant que ça. Sauf que l'impression de déjà vu se poursuit, comme souvent dans ces cas-là, sur de plus amples minutes, et alors dans ce genre de situations on en vient à considérer que le moment même où on prend conscience de cette impression de déjà vu a été, en lui-même, déjà vécu lui aussi, et alors c'est vertigineux cette affaire (jusqu'à ce que ça se dissipe). L'autre truc, c'est que j'ai continué à relire sur une machine autre que mon ordinateur, si bien que quand je compare ma progression en pourcentage dans le texte, j'ai comme un hiatus qui se crée entre la machine de lecture et l'ordi, car le chiffre n'est jamais le même (preuve que le moteur de pourcentagisation est, lui aussi, différent). Je ne sais donc jamais vraiment où (ou quand) je suis, ce qui semble quand même être l'objet du livre, signe donc que l'on est bien sur la même longueur d'onde lui et moi. Pendant ce temps, à Xkm de là, Philippe se tape la compta du deuxième trimestre et fait lui aussi remonter des moments dans le temps : factures, montants, dates ; le plus souvent des chiffres (c'est le problème avec la compta), et Lou entend Dédé lui dire que de toute façon, on ne s'aime plus vraiment, on s'aime juste par intérêt, de nos jours.

 

vendredi

Un certain nombre de choses à terminer cette semaine : contrats pour commencer (remplir un document en ligne et envoyer des invitations à d'autres à le remplir à leur tour, à le parapher et le signer). Il convient donc d'envoyer une feuille de route à suivre pour bien comprendre où on est dans le document, ce qu'on fait là et pourquoi, et comment valider chacun des contrats (parapher sur chaque page, ce genre de choses). Vérifier également que la livraison des exemplaires de L'espace du commun à la librairie du Festival d'Avignon est bien effectuée (oui), alors que la nouvelle pièce de Christiane Jatahy commence à être représentée là-bas. Faire le point également avec Julie après la soirée à Lourdes en juin. Et, comme conclusion à cette semaine, envoyer à Christophe fichier relu de son texte, avec la bagatelle de 368 commentaires (mais beaucoup de virgule-checking comme on l'a vu). Roxane nous envoie le lien d'un entretien avec les éditions La Volte sur ActuSF qui expliquent comment ils fonctionnent au quotidien, leur travail avec les auteurs, et c'est assez passionnant quand on s'intéresse un peu à comment se déroule l'édition dans les coulisses. Et ça m'aide à réaliser quelque chose que j'avais entraperçu il y a quelques semaines lors d'un rendez-vous : quand on se voit comme ça pour parler d'un texte en cours, qu'on peut d'ailleurs n'avoir pas encore lu, ce que me dit l'auteur.e n'est pas, en réalité, pour moi. C'est pour elle ou lui. Ça lui permettra de verbaliser à voix haute ce que peut-être il ou elle n'avait fait que pressentir. Et c'est, en soi, précieux. Il y a d'autres endroits en ligne où l'on peut assister comme ça à la fabrique de l'édition, au cambouis des livres en cours de conception, par exemple le podcast Primo sur Nouvelles écoutes (signalé là encore par Roxane il y a quelques semaines). C'est instructif. Et c'est, bien sûr, l'un des objectifs aussi de ce carnet de bord.