[NOUVEAUTÉ] Les encombrants, de JY. 1 novembre 2017 – Publié dans : Notre actualité – Mots-clés : Arnaud Maïsetti, Jean-Pierre Dupuy, JY, théâtre contemporain, thtr
« Qu’avais-je à écrire d’autre/quand il fallut écrire, et/coucher bientôt la pensée ? /Car il fallait la coucher/la pensée… la vider du ventre… qu’elle remplissait…/du côté de moi. »
Les trois pièces de JY., Jusqu’à ce que (2015), Balivernes hivernales (2016), Les Encombrants (2017) dialoguent ensemble comme les personnages qui les peuplent — les hantent plutôt —, et il y aurait entre chacune d’elles le souci de partager la parole comme on partage le monde ou du vin : non pas seulement dans l’amitié et la mélancolie de ceux qui savent qu’ils ne restent que cela comme complot à opposer à l’organisation abjecte du réel, le partage, mais aussi dans la rage de ceux qui n’ignorent pas que le partage n’est que cela : partage, c’est-à-dire rupture, violence, solitudes communes.
Trois pièces comme on met en pièces le théâtre aussi : ici passe son fantôme. Des personnages, de la fable, de l’espace, du temps — toutes ces vieilles lunes —, ne reste que la lueur, lunaire, d’une force diffuse, spectrale. Théâtre pourtant, parce que tout repose sur ce qu’il faut dire, et qui se dit : sur l’adresse, sur la présence de ce qui est encore présent quand on le dit. Pièces qui lèvent la présence réelle de présences possibles, fantômes encore, si le fantôme est la possibilité de ce qui n’est jamais passé, passe encore, ne cesse de faire du passage une manière d’être présent.
Trois pièces dont les deux dernières ont été éditées en format numérique et qui paraissent aujourd’hui en livre qu’entre les mains on peut se passer. Manière d’être plus spectrales encore, plus passantes. Trois pièces qui scandent chacune des années de la collection THTR. Trois pièces qui sont davantage : une saison chacune. L’automne de Jusqu’à ce que, son allure de feuilles tombées lentement sur les choses, le crépuscule, mais latent, indistinct, insistant : la pièce érotique des corps, du désir qui passe, des femmes passantes, des nostalgies puissantes ; l’hiver des Balivernes hivernales, la nuit longue et épaisse de l’attente, le monde comme une gare où il n’y aurait plus de train à attendre, mais un piano désaccordé et des gestes à faire pour que dure le temps ; et le printemps des Encombrants, pas le printemps du renouveau étincelant, du retour des choses perdues, mais le printemps comme quand rien n’a encore eu lieu de la lumière, mais que tout est passé de la terreur du froid, comme ce qu’on abandonne à l’espoir et ce qui demeure encore du désir.
Trois pièces qui racontent l’histoire — pas celle que raconte le monde, plutôt la contre-histoire de ce qui dans le monde prend corps la nuit, dans nos villes —, trois pièces qui racontent leur histoire : est-ce trois façons distinctes de la dire ? Ou trois suites — musicales ? Ou trois mondes parallèles, avec les mêmes figures qui de l’une à l’autre passent ? On ne sait pas. On lit seulement en rêvant aux corps qui oseraient la porter sur scène et fabriquer des ombres avec ces ombres.
La continuation de l’écriture par d’autres moyens : par le théâtre.
« Voilà l’histoire/Celle d’une aphérèse,/Madame,/où la lettre volée/réfléchit/l’incubation de la lucidité/douloureuse/oui, douloureuse/et supérieure… »
Extrait de la préface de Jean-Pierre Dupuy
… Et donc feu !
« le beau n’est que le premier degré du terrible »
Les Encombrants de JY nous invitent à un heureux détour par Rainer Maria Rilke !
De la difficulté d’arriver à l’impossibilité de partir. Nous voilà pris entre deux mauvais feux. De la regrettable erreur d’être né rudement éprouvée par Cioran… à la reconnaissance par R M Rilke — que l’on soit homme, femme ou enfant — de ce que la mort s’affirme comme noyau de l’existence, se produit trait d’union : « On possédait sa mort », dit-il, « et cela conférait à chacun une singulière dignité et une paisible fierté. » Et encore ceci aussi beau que terrible :
Et quelle mélancolique beauté était celle des femmes, lorsqu’elles étaient enceintes, debout, et que, dans leur grand corps, sur lequel leurs deux mains fines involontairement se posaient, il y avait deux fruits : un enfant et une mort. Le sourire intense, presque nourricier, sur leur visage rasséréné ne venait-il pas du sentiment qu’elles avaient parfois de sentir croître en elles à la fois l’un et l’autre.
On comprend comment Rilke a pu énoncer que « le beau n’est que le premier degré du terrible » et que par là Les Encombrants de JY viennent en ligne d’horizon. Terriblement.
Poursuivons ce feu de tous bois. Comme si Rilke trouvait dans JY un fer de lance possible. Une mise à l’épreuve. Ce qui fait qu’un texte s’arrache au silence. Comment l’intime, le plus secret de l’intime peut porter une parole éminemment politique : cela parait la matrice constitutive des Encombrants de JY que l’on retrouve ci-gisant dans la célèbre admonestation de Rilke :
Artiste, ne va pas croire que l’épreuve, pour toi, soit dans le travail. Tu ne peux être celui pour qui tu te fais passer et pour qui te prend tel ou tel, faute d’en savoir plus, aussi longtemps que le travail ne s’est pas confondu avec ta nature au point que tu ne puisses faire autrement que t’affirmer en lui. Alors, travaillant ainsi, tu es la lance lancée avec maîtrise ; hors de la main de la lanceuse, des lois t’accueillent et fondent avec toi sur la cible. — Qu’y aurait-il de mieux assuré que ton vol ?
Que ton épreuve, cependant, soit de n’être pas toujours lancé. Que la joueuse de lance, la solitude, ne te choisisse pas, de longtemps, qu’elle t’oublie. C’est le temps des tentations, quand tu te sens hors d’usage, incapable. (Comme si ce n’était pas occupation suffisante qu’être prêt !) Alors, comme tu gis là sans grand poids, les distractions sur toi s’exercent et te cherchent quelque autre usage : bâton d’aveugle, barreau de grille ou balancier pour danseur de corde. Ou, si elles en ont les moyens, elles te plantent dans la terre du destin, afin que tu connaisses le miracle des saisons et pousses peut-être quelques petites feuilles vertes de bonheur…
Oh ! alors, refais-toi d’airain : gis pesant.
Sois lance. Sois lance. Sois lance !
Si donc gît JY où les « gis » font leur poids en vis-à-vis de « quelques petites feuilles vertes ».
Puisqu’une solitude structure le poème. Solitude condensée pour ne pas dire cristallisée dans le texte de JY dans son intranquillité dont on trouve écho dans le livre de Pessoa.
Savoir d’où ça parle. Reconnaître avec Pessoa la « tragédie d’être né ».
La liberté, c’est la possibilité de s’isoler. Tu es libre si tu peux t’éloigner des hommes et que rien ne t’oblige à les rechercher, ni le besoin d’argent, ni l’instinct grégaire, l’amour, la gloire ou la curiosité, toutes choses qui ne peuvent trouver d’aliment dans la solitude et le silence.
Maintenant revient la question qui taraude. Jusqu’où la solitude, et/ou « jusqu’où le silence ».
Régine Follope à qui nous avons emprunté la formule (comme c’est vilain cette expression !) « jusqu’où le silence » mérite bien que l’on cite in extenso un poème de son recueil (en écho à la désabusée « poésie de garage » qui torture JY) que voici :
dis-moi quelque chose
de ce que tu ne dis pas
les arbres en toi
vont-ils jusqu’à tes yeux
mais du silence tu fais la voûte
et soudain s’ouvre
ce qui recule
un corps d’homme et de rose
ta voix soulève le proche
tu te délivres de la beauté
No comment. La poésie ne souffre aucun commentaire. Mais ceux qui ont pu voir le Trakl de Régy éprouveront avec émotion combien le silence peut faire voûte !
Régy maître des maîtres pour faire territoire du silence avec la complicité d’Alexandre Barry, l’homme lumière ou le faiseur d’ombres — et c’est bien d’un faiseur d’ombres dont JY doit s’enquérir. Si on laisse courir son imagination : à quoi se prêteraient ces Encombrants ?
Assez probablement, ils auraient besoin d’un Didier-Georges Gabily à la baguette… En tout cas d’une troupe… d’une abondance d’acteurs pas trop normés… De ceux qui ne trouvent pas inconvenant d’être là à découvert dans l’ombre… Que vie, fiction, imaginaire, mort les constituent. Qu’à l’endroit de la scène, ils s’y constituent. Donc, en nombre, présents et relativement innocents des paramètres professionnels.
Il s’agit d’être là en… personne. Être excessivement là dans le jeu pulsion de mort/pulsion de vie ou disparition/apparition. Quitte à ce que pulsion de vie soit pulsion de vit… Un truc bandant quoi !
Avec quel corps ?
Question inévitable. Ni homme ni femme… Bandant avons-nous dit ! Mauvais genre quoiqu’il en soit. Ainsi soit-il et tant pis pour les tablettes de la loi de Moïse… Démoïsation oblige.
Un corps sans moi, est-ce possible ? Non… Alors, allons-y, consultons Artaud sur ce point, si on a de la suite dans les idées sut la cohabitation du terrible et du beau ; on y gagne de renoncer au spectacle et à l’imposture de sa servilité sociale.
Dans nos villes, il existe des endroits à l’abri des regards qui sont destinés au dépôt de ce qui ne sert plus, objets trop usés ou inutiles. Le soir, il suffit de les déposer là, et le matin, ils ont été emportés. Les encombrants, ce pourrait être une allégorie, oui, mais de quoi ? De ce début de siècle, des corps que le monde juge inutiles et évacue, ou du théâtre lui-même ? Dans cette troisième pièce, JY. poursuit sa plongée dans les franges dissidentes de notre réel. Après l’érotique Jusqu’à ce que… et l’élégiaque Balivernes hivernales, c’est le troisième temps : celui politique des corps abandonnés dont la défaite n’a pas dit le dernier mot. Les figures qui hantent les deux premières pièces sont toujours là, et leurs ombres. Entre eux passent les encombrants : des corps étendus, abandonnés, à la surface desquels écrire. « Et cette heure venue / où la ligne est le reflet / de la vie définitive / qui s’impose par cœur… / au calepin se substitua l’alcool de santé / celui où se noie / la vie à l’eau de rose. » C’est un texte qui voudrait traverser l’abandon et l’alcool, la joie d’être un vivant sur le cadavre de l’époque. « Il faudrait de temps en temps, avec un peu d’entraînement, que l’homme croie savoir pourquoi il existe. » C’est une pièce enfin comme un crachat sur le théâtre, mais lancé avec tendresse, avec pitié, avec la férocité des doux, l’intransigeance des terribles. « Il ne manque point, parmi nous, aujourd’hui, de ces hommes qui ont le droit de se nommer sans-patrie, sans travail, sans lit, sans plus rien qui les greffe à l’élan de la vie. »
Préface de Jean-Pierre Dupuy
144 pages
ISBN papier 978-2-37177-525-1
ISBN numérique 978-2-37177-181-9
14€ / 4,99€
Vous pouvez commander ce livre directement sur notre boutique (une manière de soutenir la maison d’édition et ses auteurs) ou en ligne (Amazon, Place des libraires, etc.) — et bien évidemment chez votre libraire en lui indiquant l’ISBN 978-2-37177-525-1, distribution Hachette Livre.
C’est un voyage : non dans l’espace, mais dans le temps et la mémoire d’un homme. Lui parlera, immobile, pour dire sa traversée d’hier, d’aujourd’hui, de demain. Il parlera jusqu’à l’essoufflement. Quand il cesse de parler, une femme est là comme en chaque moment de sa vie, pour dire ce moment, ou nommer ce qui a lieu. La femme en bleu, la femme en blanc, la femme en noir. Dans ce ballet des voix et des corps, cet homme seul au milieu de sa vie traversée par trois femmes, se donne à entendre le prix de cette traversée, dans le souffle d’une voix qui tente d’aller jusqu’au bout de lui, jusqu’à ce que…
C’est le premier texte de théâtre de JY. Préface de Claude Régy.
S'agissant de la version numérique, deux versions sont proposées, l’une est interopérable (lisible sur tous les appareils), l’autre est enrichie de morceaux audio, lecture du livre faite par l’auteur.
72 pages
ISBN papier 978-2-37177-518-3
ISBN numérique 978-2-37177-110-9
11€ / 3,99€
Vous pouvez commander ce livre directement sur notre boutique (une manière de soutenir la maison d’édition et ses auteurs) ou en ligne (Amazon, Place des libraires, etc.) — et bien évidemment chez votre libraire en lui indiquant l’ISBN 978-2-37177-518-3, distribution Hachette Livre.
Balivernes Hivernales naît d’une rencontre : avec la ville et le désarroi qu’on y trouve à chaque pas. Dans le hall d’une gare, sur le clavier d’un piano désormais disposé dans chacune de nos gares et livré à tous, quelqu’un joue en virtuose. Soudain un homme en haillons – un SDF peut-être – se lève et danse. La pièce puise là, dans le mouvement terrible d’un corps, dans la foule autour qui passe toujours à côté, dans la ville qui bat, dans la musique désaccordée : une image et son désir. L’image d’un tournoiement qui remet le monde à sa place. Le désir d’approcher le monde dans la brutalité élégante qui pourrait lui résister. Dans cette pièce, autour de cette ville qui est la nôtre – et qui pourtant est inacceptable –, dix monologues dialoguent avec leur vie, leur voix, leur arrêt ici, sur la scène levée par ce texte.
Balivernes Hivernales poursuit le dialogue de JY avec le théâtre et cette esthétique du désarroi qu’il a entrepris avec Jusqu’à ce que, sa première pièce, publiée chez publie.net en 2014. C’est la deuxième saison : l’hiver. Elle n’est pas sans âpreté ni sans son envers, l’humour, cette élégance du désespoir.
104 pages
ISBN papier 978-2-37177-519-0
ISBN numérique 978-2-37177-141-3
11€ / 3,99€
Vous pouvez commander ce livre directement sur notre boutique (une manière de soutenir la maison d’édition et ses auteurs) ou en ligne (Amazon, Place des libraires, etc.) — et bien évidemment chez votre libraire en lui indiquant l’ISBN 978-2-37177-519-0, distribution Hachette Livre.