Carnet de bord 2020, semaine 46 15 novembre 2020 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : , , , , ,

publie.net, le feuilleton (que le monde du livre nous envie) à retrouver chaque semaine, par GV.

lundi

Pardon d'entamer cette nouvelle semaine comme on a fini la précédente mais enfin le relevé de ventes du jour n'est pas des plus stimulants. Les ventes y sont (c'est un changement par rapport au premier confinement : la machine de distribution n'est pas à l'arrêt, les commandes arrivent et sont livrées en librairie, et de fait on est sur les bases d'un mois mou peut-être, mais d'un mois normal) mais les retours les dépassent. Résultat des courses, nous sommes, à ce jour, en total novembre dans le négatif : nous avons vendu moins qu'on nous a retourné. Et donc là c'est le drame : c'est donc le découvert éditorial. Le futur n'est pas beaucoup plus rassurant : quelle logique peut-on trouver quand on observe les ventes d'Amazon dont les algorithmes, pour une raison qui nous échappe, décident de prendre deux fois plus de tome 2 d'Horace que de tome 1 ? Il n'y a pas besoin d'être fin devin pour imaginer comment tout cela va se terminer. Mais tout n'est pas toujours gris tout le temps. Par exemple, il y a ce manuscrit qu'on appellera le manuscrit C, qui semble venir de nulle part (je veux dire, envoyé par quelqu'un que l'on ne connaît pas, ni ne situe). Très fort. Très simple. Or ce n'est pas toujours simple d'écrire quelque chose de plutôt compliqué, sur des sujets sensibles comme on dit, et d'en faire un texte qui, en apparence, a l'air simple. On reçoit le tout venant des manuscrits sur une adresse collective. Si bien que parfois, comme ici, avant que j'ai eu le temps de réagir, il arrive que quelqu'un parmi nous rebondisse pour dire combien un texte l'a touché. Voilà ce qui arrive. Ce qui m'amène à mettre ce manuscrit C en lecture rapidement, et à le lire moi-même. C'est un premier plaisir : s'imaginer le livre que ça pourrait donner. Se dire : tel format. Se dire : telle question de mise en page, comment on la gèrerait. Se dire : là, le texte pourrait évoluer dans telle direction ou dans telle autre. Se dire : ça, pour X raisons, ça va poser problème. Très souvent, il y a cette projection. La plupart du temps elle s'érode : c'est que plus on progresse dans le texte, moins on a envie de le publier, par exemple quand les enjeux ne sont pas tenus, quand on promet plus qu'on ne peut délivrer, ou tout simplement quand ça se disperse trop. C'est humain. Mais là non. Je veux dire, si bien sûr, c'est humain, mais la projection ne cesse pas. Elle tient. C'est un signe.

mardi

Photo Isabel (@Jerisalia sur Twitter)

C'est aujourd'hui l'heure de la parution de la Littérature inquiète, de Benoît Vincent. Sous-titré Lire écrire, ce troisième opus d'un cycle qui en comportera au moins un autre dans le futur est signe d'une vision critique d'envergure sur la littérature présente et à venir. Ce fut un gros travail (avec les corrections et rééditions des précédents tomes sur Blanchot et Quignard) et c'est une joie de le voir aboutir aujourd'hui. Ce n'est pourtant pas habituel de faire paraitre quoi que ce soit un mardi (toutes nos sorties ont lieu le mercredi, c'est une action marketinguement fort réfléchie). En début d'année, voyant le calendrier je m'étais dit : le deuxième mercredi de novembre, c'est le 11, ce sera férié. Plein de librairies seront fermées, décalons au 10. Ah, si j'avais su dans quelle année étrange on allait mettre les pieds... Le mois de novembre est d'ailleurs plus ou moins dans cet esprit même si, aujourd'hui, nous sortons momentanément du négatif constaté hier, jour de parution oblige. Mais aussi suite aux belles commandes réalisées pour L'empire savant, lequel s'est maintenant plus écoulé en moins d'un mois et demi (depuis la mise en ligne de la conférence de Vincent Haegele sur France Culture et celle du sujet vidéo sur France24) qu'entre sa parution en juin 2019 et fin septembre. Et tout le potentiel du livre est loin d'être exploité : mis à part la vente en ligne et l'export, peu sont les libraires hexagonaux à s'être laissés tenter. Nous préparerons une communication en ce sens pour mettre en valeur ce beau sursaut d'inactualité (en plus de France Culture et France24, Usbek et Rica en son temps, Bifrost, le Courrier picard et d'autres).

mercredi

Bug. Depuis quelques jours, le site ne nous envoie plus les notifications automatiques de commandes par email. Bien sûr, au début, on ne s'en est pas rendu compte, et par hasard on verra des commandes effectuées dans le courant du week-end (c'est le kinder surprise du lundi). Malgré nos bidouillages dans les paramètres, ça ne change rien, et curieusement le nombre de commandes a augmenté depuis que les notifications se sont fait la malle : coïncidence ? Vases communicants ? Aucun changement sur le site ne laisse à penser qu'une action X ou Y aurait pu en être à l'origine, alors quoi ? On ne saura pas. Mais le passage ce mercredi à une nouvelle version du site et de WordPress a semble-t-il résolu le problème (merci à Romain, notre développeur, qui l'a pilotée). Reste maintenant à espérer que nous ne serons pas victimes d'un retour de bâton karmique, voire d'une inversion de la communicabilité vasière (pour ne pas dire vaseuse) et que le retour des notifications ne signifie pas dans les faits une suspension des commandes...

jeudi

J'aimerais ne pas me répéter dans ce carnet (c'est pourtant un fait aisément vérifiable : je me répète dans ce carnet) mais voilà qu'Amazon nous renvoie une fournée de retours à nouveau, des livres du début de l'année cette fois. Ça commence à devenir usant, et préoccupant. Le taux de retour de cette enseigne en 2019 du 1er janvier au 12 novembre était de 12%. Cette année, il atteint les 31%. Qui plus est, ces retours ne sont pas effectués au fil de l'eau, dilués sur la totalité de l'année, de manière à pouvoir être absorbés plus facilement, mais se concentrent sur deux mois : août et novembre. De quoi, pardon de le dire crûment, considérablement niquer nos chiffres (sans parler du moral). Alors que faire ? Dans la foulée du mouvement de soutien (ou d'anti-Amazon washing ?) de plusieurs éditeurs à la librairie indépendante, on voit désormais fleurir des tribunes et des invitations à ne plus vendre de livres indés sur Amazon. Certaines sont même plutôt bien faites, et instructives, comme cette tribune de Zones Sensibles dans Actualitté. À titre personnel, je ne m'y retrouve pas du tout sur le fond, et je ne crois pas que la solution soit de ne plus vendre sur Amazon (27% de nos ventes via Hachette en 2019, tout de même). Semble-t-il nous atteignons le même niveau d’absurdité dans les débats qu'au printemps dernier où tout un tas d'éditeurs peu ou pas présents en librairie invitaient leurs confrères à repousser leurs parutions pour ne pas encombrer des tables que d'ordinaire ils n'encombraient pas... laissant toute la place à ceux qui précisément les trustent le restant de l'année. Même chose vis à vis des appels aux éditeurs indé ces derniers jours à ne plus faire de vente directe sur leur site internet, pour soutenir la librairie... laquelle tire déjà la sonnette d'alarme depuis combien d'années quant à l'accroissement du nombre de parutions impossible à absorber. De fait, il n'y a pas assez de place en librairie pour accueillir toute la misère du m..., pardon, l'ensemble des parutions, et le remède qui consisterait à faire de la librairie un lieu sanctuarisé seul à même de vendre des livres de littérature c'est l'arbre qui cache la forêt : pendant qu'on se concentre sur Amazon, on feint de ne pas remarquer que la chaîne du livre est inégalitaire, que l'emballement de l'appareil de diffusion-distribution noie continuellement les libraires, que les loyers de centre-ville finissent de les achever, que la grande-distribution les enterre et que la best-sellerisation des esprits contamine jusqu'à la fine fleur (sic) des organes de médiation et de critique journalistique. Que faire (bis) pour imaginer un marché du livre apaisé et compatible avec son réseau de vente traditionnel ? Ou, pour poser la question autrement : combien de titres devrions-nous sacrifier et lesquels ?

Philippe le long de nos échanges préalables à publication de cet épisode du carnet ajoute une précision : ce qu'Amazon fait aux éditeurs indépendants en passant des commandes excessives puis en retournant brutalement, c'est exactement la même chose que font les représentants des grands éditeurs qui ont une filiale de distribution quand ils demandent aux libraires qui acceptent les offices de faire de la place pour les nouveaux titres en respectant un taux de rotation (entendre retours) suffisant. Heureusement, certains libraires conservent néanmoins un stock significatif hors poche, mais à quel prix ? Pour nous, les solutions ne sont pas légion : même à supposer que nous souhaitions nous engager vers un boycott d'Amazon, notre distributeur ne nous le permettrait pas, pouvant être sanctionné pour refus de vente. Les stratégies mises en place pour le bricoler néanmoins (la proposition faite par Zones Sensibles et d'autres étant de ne plus faire figurer de code-barres en quatrième de couverture des livres pour court-circuiter les process automatisés dans les entrepôts du groupe) posent question : que se passe-t-il concrètement à parution d'un livre ? Amazon procède à sa commande automatiquement, reçoit les quantités demandées, constate l'impossibilité de scanner quoi que ce soit, renvoie les livres au distributeur, le tout à chaque parution ? Ou bien s'agit-il d'un algorithme apprenant qui n'effectue l'opération qu'une fois avant de blacklister l'éditeur ? Est-ce là un horizon tenable, vouloir être blacklisté ? D'autres bricolages sont peut-être possibles, nous en discutons avec Hachette pour voir ce qui peut être envisagé, l'idéal étant de pouvoir être prévenu avant commande afin de pouvoir les ré-étalonner si elles nous semblent déraisonnables. Autre piste : minorer la remise d'Amazon pour décourager la commande. A priori inenvisageable : la remise Amazon (comme la Fnac, dont on parle peu, mais dont les pratiques cette année sont pour le moins contestables, et qui bénéficie de prêts garantis par l'État, soit dit en passant) est fixée par contrat (40%), contrairement aux remises libraires qu'il nous appartient de fixer nous-mêmes (35%). D'autres pistes existent aussi, qui sont plus bancales encore et moins crédibles, je ne m'étalerai pas dessus. D'autres restent sans doute à inventer pour éviter de faire en sorte que l'ouverture des relevés de vente chaque matin tourne à l'angoisse absolue, comme c'est le cas actuellement.

vendredi

Mieux vaut laisser de côté ces histoires de retours qui nous pèsent pour nous élever non pas dans le domaine public (il est encore un peu tôt : non seulement nous sommes vivants mais en plus nous sommes à des années lumières du 70 ans post mortem pratiqué par le business des livres des morts) mais dans des textes à venir qui savent nous booster. Reprise d'un manuscrit (appelons-le le manuscrit A) que j'ai pu pacifier par rapport à son nombre de révisions et de commentaires VS la semaine dernière.

Puis lecture de cette deuxième version déjà d'un manuscrit B le long de quoi je prends beaucoup de notes sur un petit carnet kangourou (le carnet des baleines est fini, c'est très animalier la prise de notes), par exemple : on tend ici à confondre bidule et tartempion, pourquoi choisir de dater les entrées dans le passé plutôt que dans le futur ? ou encore : mais quand se sont-ils rabibochés ? Avant appel téléphonique d'une autrice d'un manuscrit C, déjà évoqué ce lundi, qui nous a particulièrement enthousiasmé cette semaine et qui nous a poussé très rapidement, quelques jours à peine après la réception du texte (c'est rare) à vouloir le publier. S'agissant d'une première publication, j'explique à la personne comment se déroulera le travail sur le texte, quel genre de livre nous avons en tête, quelles sont les étapes à venir (on peut très vite être perdu quand on ne sait pas dans quoi on met les pieds), le contrat, etc. Tout se passe bien. Et puis, au bout du compte, ce sera la réception du texte maquetté pour Jusqu'à très loin, le livre de Romain Fustier que nous publierons dans L'esquif en février prochain, mis en page par Olivier Lavoisy, lequel a pris la suite de Roxane actuellement en congé maternité. Avant de partir expédier des commandes d'un livre D venant de paraître : c'est La littérature inquiète de Benoît Vincent et de découvrir la première recension pour L'enfant poisson-chat qui lui paraîtra fin novembre. Si bien que toutes les étapes de la construction d'un livre se succèdent dans le désordre au sein d'une même journée, c'est assez doux à vivre. Finissons là-dessus, tiens.