Carnet de bord 2020, semaine 8 23 février 2020 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : , , , , , , ,

publie.net, le feuilleton, à retrouver chaque semaine, par GV.

lundi

Une nouvelle semaine commence et voilà qu'on prépare des bandeaux rouges pour L'homme heureux qui diraient : "Un László Krasznahorkai du futur". Bon, ce n'est pas tout à fait ce que nous faisons, cette phrase inaugurale est donc une fake news, mais l'article dont est tiré ce blurb est, lui, bien réel. Merci à L'espadon pour sa belle chronique. Pour nous, le futur, c'est tout le temps maintenant : pendant que Virginie Gautier et Jean-Yves Fick fignolent la quatrième de couverture du prochain doux recueil de Katia Bouchoueva qui paraîtra à la fin du printemps, je défais et refais pour la énième fois celle de Notre vie n'est que mouvement. L'écriture des quatrièmes, c'est comme l'édito des newsletter : sans qu'on sache trop pourquoi, certaines me prennent une heure et d'autres une semaine. Ce n'est pas nécessairement lié au livre. Mais à quoi, sinon ? À quoi ça tient, aussi, qu'on s'imagine toujours manquer d'enveloppes (alors qu'il en reste là un gros paquet de cent) ? Que de mystères dans le monde trépidant de l'édition...

mardi

Notre point hebdomadaire téléphonique avec Julie nous amène à nous demander si les libraires ont présentement plus de clients en boutique que les stations de ski de skieurs sur leurs pistes. A priori, c'est mitigé. D'ailleurs on nous le dit : il n'y a personne en librairie. Faut-il envisager de déverser par hélicoptères de la neige en magasin ? Non, car les librairies ne vendent pas de neige (ou de droits à glisser sur cette neige), eux. Ils vendent des livres. Déversons donc des livres en masse dans les rayons. Mais ça, c'est déjà la tendance actuelle (ce n'est plus une tendance, à ce stade, et ce n'est même plus de la persevérance, c'est de l'obstination). La situation des libraires, et, au-delà d'eux, de la chaîne (sic) du livre dans son ensemble va-t-elle pouvoir s'améliorer ? L'actualité du moment (espérons qu'elle ne soit pas qu'une mode de plus dans les flux d'information) concerne la précarité des auteurs, et le ministre de la Culture (faut-il une majuscule à ministre ? j'aime autant la mettre à culture) fait des annonces sur Twitter à ce sujet. Cela concerne le rapport qu'a rendu Bruno Racine sur la situation des auteurs il y a peu (lequel Bruno Racine, m'indique-t-on précisément sur Twitter, dirige désormais le palais Grassi de François Pinault à Venise, un lieu où à n'en pas douter il est facile de faire artificiellement tomber la neige si on le souhaite). Je ne sais pas dans quelle mesure ce rapport a réellement suscité les espoirs des auteurs ici et là mais enfin ce qu'il ressort de ces déclarations ministérielles c'est qu'un baromètre complet de la situation sociale des artistes-auteurs qui devra permettre d'identifier les facteurs d'inégalité doit être mis en place (l'excitation est à son comble, mais le meilleur reste à venir) et qu'un dialogie interministériel doit aboutir à moyen terme à la création d'une interface de communication commune à destination des artistes-auteurs. Quand on aura compris cette phrase, les gens au pouvoir ne le seront plus depuis belle lurette et on pourra tout oublier des dialogies interministériels. Le baromètre, quant à lui, pourra être utile à celles et ceux qui souhaitent savoir s'il neigera ou non demain. Les auteurs pourront-ils vivre décemment de leur écriture demain ? Le président du SNE semble répondre non, et prend l'exemple des livres d'art ou des livres pour enfants : si on donne 10% de droits d'auteur pour ces livres, ils ne pourront tout simplement plus exister. Il faut toujours prêter une attention particulière au choix des mots dans ces situations. Donner, par exemple, c'est un choix de lexique qui n'est pas anodin. Et en attendant de savoir s'il neigera ou non à l'avenir, s'en prendre non à la situation du temps qu'il fait mais à la station météo qui la prédit semble une attitude plutôt saine à adopter.

mercredi

Notre article pour présenter notre offre d'abonnement aux bibliothèques a été retoqué : il est trop virulent envers ce (ou ceux) envers qui il convient de ne pas trop viruler. Est-ce virulent d'écrire a posteriori dans un carnet de bord que nous avons virulé ? Je ne sais pas. J'imagine que c'est précisément ce que j'essaye de vérifier ? J'ai rendez-vous avec Christophe Grossi dans un café qui fait l'angle (avec quoi ?). Là où on est, c'est une de ces zones grises un peu floues entre l'espace intérieur et l'espace public. On est toujours sur le trottoir mais quand même dans les murs du café ; on est au chaud pas mais techniquement à l'intérieur. C'est flou. Ce qui n'est pas flou, c'est ce qu'on se dit. Du moins, je l'espère. Il y a des feuilles de papier et des stylos, des notes, et parfois on se demande (à qui, à chacun ou à nous-mêmes ?) si on est bien lisible. De toute évidence oui. Pas très loin, à proximité de notre table, une vieille dame fait défiler ses sonneries de portable, un appareil antédiluvien qui ne s'exprime qu'en son 8-bit ou quoi, alors il faut s'imaginer cette scène ponctuée de mesures en midi de la Cucaracha et autres chefs d'œuvre de composition binaire. Sur nos feuilles de papier non binaires, il y a des +, des ++ et même des +++ (c'est bien mystérieux tout ça, c'est la vie du livre à venir, c'est l'avenir qui s'écrit sous nos yeux ébahis, c'est La ville soûle).

 

jeudi

Aujourd'hui, semble-t-il, je cherche. Je cherche un carton pour la Femme renard (la librairie, et non quelque créature fantastique), et je finis par trouver. Je cherche une signature à aposer sur un PDF pour une candidature à un salon. Je cherche un mail pour relancer quelqu'un qui ne répondait pas. Je cherche à retrouver dans quel ordre quoi faire pour sortir les fichiers qui nous serviront à élaborer nos déclarations de droits d'auteur 2019. Je cherche dans les outils de statistiques de ventes Hachette comment sortir ce qu'ils appellent le Palmarès, ce que je fais chaque matin pour consulter les ventes de la veille et les partager avec l'équipe, et que je ne peux mystérieusement plus faire depuis le début de la semaine. Et puis, surtout, je cherche la perle rare : le texte parfait à publier pour nous prochainement. Mais ce faisant (!), je me demande : c'est quoi la perle rare ? Je veux dire, tout le monde la cherche intensément, la perle rare, mais est-ce la même perle rare à chaque fois ? Est-elle trouvée, et si oui combien de fois ? Est-ce de nature à ne plus la qualifier de rare, si elle est trouvée plusieurs fois, par des entités différentes qui plus est ? Parfois, j'ai bien peur de me mettre à chercher ce que précisément tout le monde recherche. Un roman accessible, mais écrit, pas trop long mais pas court, sur un sujet porteur, si possible sans trop de travail éditorial à envisager, et signé de quelqu'un que l'on ne connaît pas encore. Cela devrait m'alarmer. Quelque part, c'est le cas puisque je l'écris. Le problème de la perle rare, c'est que la plupart du temps elle n'existe pas. Ce que l'on a parfois sous les yeux, et qui semble capter l'attention par exemple des médias, ce sont des copies de perle rare. On a l'intution en les lisant (mais attention, il ne faut les lire qu'une seule fois) qu'elles sont effectivement des perles, et que ces perles sont rares, mais quand on regarde de plus près, ces perles n'ont de perle que la forme, et en réalité elles sont en plastique. Or du plastique, on en a déjà suffisamment entre les mains et dans l'organisme au quotidien, merci bien. Cherchons donc plutôt quelque chose d'organique, avec des aspérités, non lisses, mais qu'on peut saisir, s'approprier, toucher. Et, dans l'idéal, être touché par elle. On a vachement avancé mine de rien en l'espace d'un paragraphe.

 

vendredi

Retour sur la quatrième de couverture de Notre vie n'est que mouvement après les réponses de Lou et de Christine sur le sujet. Je suis parti dans une direction trop classique, sans doute gêné par le poids de Montaigne et la forme fixe du récit de voyage. Or Notre vie n'est que mouvement est tout sauf fixe, il est, eh bien, mouvement. Surtout, c'est un texte drôle, et qui donne la pêche, comme l'écrit ici justement Christine. Il faudrait donc que la quatrième reflète aussi cet aspect. J'ai voulu éviter un écueil, lors de la première version, qui aurait consisté à faire du livre un genre de livre girlie et survitaminé. Chercher donc à plutôt mobiliser des énergies fun et pop, pour rester dans les anglicismes. Je vais pendant un moment errer devant une page blanche qui est grise. J'écris des phrases, mais ça ne marche pas. Je veux dire, les phrases fonctionnent, mais ce n'est pas le bon ton, et ce n'est pas le bon livre. Montaigne pèse forcément sur la vision qu'on peut avoir du livre, sauf peut-être à l'imaginer comme un genre de momie qu'on serait allé chercher dans le passé pour l'emmener avec soi sillonner l'Europe du présent ; je doute qu'on puisse être aussi graphique que ça, mais enfin c'est un point de départ comme un autre. Alors à la place, je sillonne les livres de ma bibliothèque en quête de livres funs, voir comment sont construites leurs quatrièmes mais je tombe sur un os. Je n'ai pas vraiment de livres funs dans ma bibliothèque. Thomas Bernhard et Anna Akhmatova, a priori, ça va pas le faire. J'envie soudain les éditeurs qui ont choisi comme parti pris de ne pas faire de quatrième de couverture, ou alors de favoriser un extrait du livre et c'est tout. Pour me changer les idées avant de revenir à la charge, je demande à quelqu'un s'il a lu des auteurs inconnus et intéressants récemment (perle rare, suite). Marie de France, me répond-il, ce qui est fun en soi. Mais pas de nature à m'aider pour ma quatrième.