[NOUVEAUTÉ] Il n’y a pas de certitude, suivi de La Femme® n’existe pas, de Barbara Métais-Chastanier 16 janvier 2018 – Publié dans : Notre actualité – Mots-clés : , , , , , ,

L'année sera assurément belle pour notre collection ThTr, cela commence dès aujourd'hui avec Barbara Métais-Chastanier et ses constellationsIl n'y a pas de certitude, suivi de La Femme® n’existe pasLe mois prochain, nous poursuivrons la collection avec De la Mère et de la Patrie, de la dramaturge polonaise Bożena Keff. Et d'autres surprises encore...

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De Barbara Métais-Chastanier, deux pièces qui sont deux manières d’affronter le théâtre et de puiser en lui la force de dire ce qui ne peut pas se dire : soi-même qui s’invente à rebours des identités héritées, imposées, assignées. Il n’y a pas de certitude et La Femme® n’existe pas témoignent du travail en cours d’une autrice qui cherche dans l’adresse une langue capable de nommer les enjeux politiques des identités qui ne réclament aucune origine, mais seulement des désirs. Ce sont deux monologues à travers lesquels fraient des voix multiples qui travaillent à faire violence aux violences infligées aux femmes, à leur identité. La jeune dramaturge traverse là dans une rage tendre et adressée les questions de notre époque : car si « l’amour est à réinventer », c’est pour chaque jour, et à chaque mot, et c’est dans l’autre, avec l’autre et pour l’autre. Deux monologues politiques dans la mesure où chacun rend caducs les discours des politiques sur ces enjeux. Monologues amoureux aussi, monologues dont le mot dit mal combien la solitude est ici attaquée pour être ce présent offert, arraché, accompli, absolument inventé afin d’être infiniment désiré.

Arnaud Maïsetti

 

Il n'y a pas de certitude

 

© Thomas Métais-Chastanier

 

C’est une histoire de langue

Préface à Il n'y a pas de certitude par Jean-Michel Rabeux

C’est une histoire de langue. Parfois une langue s’invente, une évidence s’impose, que les mots qui sont là sont plus puissants que leur auteur, autrice en l’occurrence, plus puissants que leurs lecteurs, spectateurs. Ou plutôt, c’est une histoire de langues, plurielles, qui s’entremêlent, comme l’archaïque et le quotidien, comme le réel et les rêves, comme les désirs de prendre et d’être prise. La phrase saigne, la phrase rit, elle jongle du cru au rigolard, du savant au trivial.

Une langue m’a sauté au visage, elle m’a fait taire, elle m’a embarqué dans sa scansion, parce que c’est une langue qui se profère. Elle m’a agité sans comprendre ce qui m’agitait. Je comprends, bien sûr, ce qui se dit, là, devant moi, dans le corps de l’autrice, dans le corps de l’actrice, mais c’est autre chose qui me bouleverse. Bouleverse n’est pas le bon mot, il fait songer aux larmes, et c’est sans aucune larme, avec de la sidération, plutôt, que j’ai reçu cette langue, comme on reçoit une injonction à penser, à danser.

Les histoires de folies que la génération fabrique en même temps que la vie, me touchent depuis toujours. Sans doute parce qu’elles plongent dans les réalités criminelles de vous, de moi, parce qu’elles ramènent le crime de chacun à chacun. Oui, les filles se dressent contre leurs mères et les assassinent, oui, les mères accouchent pour les tuer. Oui, toutes les vies contredisent le roman familial bienséant.

J’aime ces questions assez impitoyables au genre humain, jamais elles ne le seront trop. J’aime les femmes qui dressent ces questions debout, et les frappent à toute volée. Les questions des filles qui doivent être mères, des mères qui doivent survivre à leurs filles, d’épouses qui doivent supporter le poids du corps des époux, et qui, un jour, les égorgent, et en jouissent.

Les femmes, les jeunes femmes, enfin, chantent les cruautés des femmes, leurs méfaits, leurs merveilles et leurs déchéances, elles réinventent la tragédie pour elles, par elles. Les histoires d’Atride, qui sont tous les jours, elles les écrivent, les violences génitrices. Et il n’est nul besoin qu’elles prennent les armes du fait divers, elles les mettent en poème, les ordinaires violences parturientes qui obligent à la folie, elles les exposent, pour qu’elles explosent, implosent.

Ce texte enchante, il m’enchante. Les endroits d’où il parle, étrangement me concernent, moi, homme âgé, figure de père, souvenir de fils. Depuis toujours la force des femmes me concerne, qui enfin s’affirme en écriture, en tout art, brutale, inadmissible, neuve comme un premier sang.

Ce texte est sans les hommes, enfin sans les hommes. Il n’y a pas de certitude, sauf celle qu’il est rude d’échapper à l’ordre des choses assignées.

 

La Femme® n’existe pas

 

© Thomas Métais-Chastanier

 

Aux éclats

Préface à La Femme® n’existe pas par Vanasay Khamphommala

La Femme® n’existe pas est un texte qui m’éclate.

Pas parce qu’on a envie de se taper la cuisse toutes les deux lignes, bien sûr — même s’il contient son lot de fulgurances comiques.

Mais parce que, farouchement, implacablement, inéluctablement, ce texte atomise. Il atomise un concept si profondément ancré dans l’identité de chacun.e, selon des modalités si diverses (l’identification, le rejet, l’appropriation, la transformation…), qu’il a pu faire passer pour authentique son rapport à la réalité.

Mais La Femme® n’existe pas n’aura de cesse d’exp(l)oser cette fiction conceptuelle pour ce qu’elle est : un ensemble de discours dont les effets, systématiquement (pas d’exception), sont la violence exercée sur les individus, les prescriptions qu’ils leur font subir. Qu’elle explose, donc, la vieille chimère, si belle que soit la parure sous laquelle on veut nous la faire avaler !

On dit parfois des mots qu’ils sont des armes. Dans La Femme® n’existe pas, ce ne sera pas un vain mot. Le langage, l’écriture deviennent ici des armes de déstructuration massive, dont la violence, ne nous y méprenons pas, est à la hauteur de celle des discours contre lesquels ils entendent lutter. Et ils seront nombreux, les systèmes que le texte viendra saboter — systèmes linguistiques, dramatiques, narratifs, informatiques, génériques, biologiques… et, ce n’est pas la moindre de ses beautés, le système textuel lui-même.

« [T]u te mets à réusiner ton code, tu le retravailles pour en augmenter l’illisibilité » (« Trans-coder »)

Illisibilité, selon la bonne vieille perspective phallogocentrique. Épiphanie, selon la perspective du futur. Car La Femme® n’existe pas nous parle du futur, je veux dire par là : depuis le futur. Son sous-titre // constellations // le dit avec éloquence : ce texte est un ensemble d’étoiles. La lumière qu’émettent les étoiles est toujours en avance sur celle que nous voyons. Et la lumière des étoiles est là pour inspirer les poètes et guider les bateaux.

Le bateau, ce sera le plateau. La Femme® n’existe pas est un poème féroce, jouissif, libérateur, capable d’ouvrir un cri aux harmoniques nouvelles. Et c’est aussi un texte qui vient nous guider vers un autre théâtre, qui appelle un autre théâtre pour dire un autre monde. Une nouvelle île. Une nouvelle colonie. Une nouvelle chance.

La Femme® n’existe pas est un texte qui m’éclate, mais nulle désintégration dans ces éclats. Naissance d’une galaxie, plutôt. Ces éclats dessinent, dans leurs interstices, l’espace du futur. Un espace à re/dé/coloniser. Un espace de théâtre, où les colonisations, pour violentes ou utopiques qu’elles puissent être, sont toujours avant tout transitoires. Un espace de théâtre — un espace trans.e ?

 

© CERCC

Barbara Métais-Chastanier est autrice et dramaturge. Elle a collaboré avec Noëlle Renaude à l’écriture des Accidents (éditions Théâtrales/ENS éditions, 2016) et avec Gwenaël Morin sur le projet du Théâtre Permanent en 2013 et 2014. Keti Irubetagoyena (Embrassez-les tous, Centrequatre, 2012, Il n’y a pas de certitude, La Commune, 2016, La Femme® n’existe pas, L’Échangeur, 2018) et plus récemment Marie Lamachère (Nous qui habitons vos ruines, 2017) ont mis en scène ses pièces. En 2015, avec Olivier Coulon- Jablonka – qui en signe la mise en scène –, Camille Plagnet et huit comédiens sans-papiers habitant dans un squat à Aubervilliers, elle crée 81 avenue Victor-Hugo au théâtre La Commune. La pièce est ensuite reprise dans le cadre du Festival d’Avignon, à Riga, Marseille et à Paris dans le cadre du Festival d’Automne. De cette aventure, elle tire le récit Chroniques des invisibles (Passager clandestin, 2017) qui donne lieu à une lecture musicale créée à Théâtre ouvert (2017) avec Julie Moulier et Sarah Métais-Chastanier. Par ailleurs, maîtresse de conférences en littérature contemporaine et arts, Barbara Métais-Chastanier poursuit ses recherches dans le domaine de la recherche-création, des écritures du réel et des dramaturgies du document au sein du laboratoire LLA-Créatis (Toulouse II). Avec Muriel Plana, elle co-dirige la collection de théâtre contemporain « Nouvelles scènes francophones ».

 

 

144 pages
ISBN papier 978-2-37177-512-1
ISBN numérique 978-2-37177-174-1
14€ / 5,99€

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