Une ville vide, vue par Liminaire 15 juillet 2013 – Publié dans : La revue de presse, Notre actualité – Mots-clés : berit elligsen, liminaire, pierre ménard, une ville vide
Lire cette note de lecture sur le billet original. Merci à Liminaire pour cette riche et foisonnante chronique.
[divider style="dotted" height="40px" ]Le retour n’est jamais le retour. Les mouches, toujours, et le feuillage.
Sauf mention contraire, toutes les citations de ce texte sont extraites de La ville vide, de Berit Ellingsen, traduit par François Bon sur Publie.net.
« Quand le film se termina sans la scène, il fut surpris. Il se rappelait chaque détail : les personnages, le dialogue, les mouvements de caméra, les intervalles des plans.
Puis il rit. Le meilleur moment, du film, il l’avait inventé après avoir vu le film pour la première fois. Il se demanda combien d’autres de ses meilleurs souvenirs n’existaient que dans son imagination. »
Une équipe de cinéma, électriciens, éclairagistes, machinistes, groupistes, et le régisseur général, qui installent à son rythme son matériel pour que le réalisateur filme une scène de nuit, cela prend des heures à mettre en place, la façade de l’immeuble se transforme lentement en décor de bois peint, de papier mâché, façade en carton. Les techniciens installent le dispositif nécessaire au tournage d’une séquence. Il fait jour en pleine nuit. Nous ne sommes pas conscients des mécanismes qui rendent possible ce miracle quotidien, cette réinvention, en nous, de ce que nous appelons la réalité. Nous croyons voir la réalité, mais ce n’est qu’une image.
S’endormir pendant un film, dans le confort moelleux des fauteuils, le calme de l’endroit, bercé par la musique du film, dans la pénombre, les bruits de pas sourds, le souffle des respirations, les paroles sont douces et monotones, pas de cris, le récit avance lentement. Pas d’images, pas le temps de rêver, mais cette parenthèse sans image, c’est comme avancer seul dans une ville vide.
Le machinima est un ensemble de techniques de production audiovisuelle utilisées conjointement, et un genre cinématographique. Les machinimas sont produits en utilisant des outils (enregistrement de séquence, angles de caméra, éditeur de cartes, éditeur de scénarios, etc.) et des ressources (arrière-plans, niveaux, personnages, apparences, etc.) disponibles dans un jeu.
Cette semaine j’ai expérimenté le machinima, avec Moviestorm, pour réaliser rapidement un petit film de présentation. Grace à ce logiciel on peut modifier son décor, puiser dans une vaste bibliothèque d’objets 3D. De très nombreuses options sont disponibles comme par exemple le changement de la taille des objets, de leur emplacement, de leur orientation, de leur couleur, de la luminosité générale, l’élévation de murs dans lesquels on peut placer des ouvertures, etc. Tout est modifiable. On peut aussi partir d’un décor vide, bien sûr. Plusieurs éléments sont personnalisables avec ses propres images (fonds de scène, posters, tableaux, écran tv, T-shirt, etc.). On peut choisir et modifier ses personnages, leur physionomie, la pilosité et la coiffure, les accessoires et les costumes de ses personnages. Tout personnage créé, à l’instar des décors d’ailleurs, est sauvegardable pour être réutilisé dans d’autres scènes ou films. Les personnages se déplacent facilement avec plusieurs types de marche type. Ils peuvent interagir avec la plupart des objets du décors, même ceux ajoutés et avec les autres personnages. Et bien sûr on peut faire parler et jouer se personnages, soit en enregistrant les dialogues dans le logiciel ou importer des dialogues. L’expressivité du personnage est réglable en lui faisant plus ou moins bouger les lèvres, ce qui permet de donner l’impression qu’il parle plus ou moins fort. De même pour le volume des dialogues. Les angles et les mouvements de caméra sont très variés. Enfin, on peut monter ses scènes, découper, déplacer ses scènes en salle de montage, ainsi que rajouter des bruitages d’ambiance et de la musique. Inclure du texte et des sous-titres.
« C’était ce qu’il avait prévu, calme, blanc, silencieux, magnifique. Le paysage ne semblait pas réel, on l’avait généré en trois dimensions avec un ordinateur. Tout ce qu’il voyait avait été dessiné par quelqu’un. Mais il pouvait quasiment percevoir la brise légère, et le doux rayon de ce soleil blanc qui se coucherait bientôt de l’autre côté de l’herbe. »
J’ai lu le livre de Berit Ellingsen, traduit par François édité par Publie.net, d’une traite, j’étais chez moi, sans électricité et donc sans connexion, l’électricien travaillait sur le transformateur dans mon entrée, je savais que ce livre me plairait, par son titre évocateur, et les quelques extraits que j’avais lu sur Internet. Il m’a touché, et m’a laissérêveur. François Bon évoque « une proximité forte aux Villes invisibles de Calvino, par les séquences comme par ces incursions chaque fois dans un monde qui semble se recomposer en entier depuis le fragment considéré. » J’ai pour ma part été sensible à l’écriture très plastique et descriptive, à la structure du livre, chaque séquence comme un récit complet, autonome, avec son mouvement propre et particulier, le tout fonctionnant par échos et correspondances. Je me suis souvenu du plaisir intense que j’avais eu adolescent en lisant le premier livre de Le Clézio : Proces-verbal :
« Le même dessin était répété dans toutes les sections de l’immeuble, pièce, couloir, pièce, pièce, pièce, pièce, pièce, pièce, pièce, pièce, pièce,W.C., pièce,couloir, etc. Adam était content de se désolidariser comme cela, avec 4 murs, 1 verrou, et 1 lit. Dans le froid et l’illumination. C’était aisé, sinon durable. On finissait tôt ou tard par s’en douter et par l’appeler.
Dehors, dehors il faisait peut-être encore soleil ; il y avait peut-être des nuages en petits morceaux, ou bien seulement la moitié du ciel était couverte. Tout ça était le reste de la ville ; on sentit que les gens habitaient autour, en cercles concentriques, grâce aux murs ; on avait, n’est-ce pas, beaucoup de rues, en tous sens : elles découpaient les pâtés de maisons, en triangles ou en quadrilatères ; ces rues étaient pleines de voitures, de bicyclettes. Au fond, tout se répétait. On était à peu près sûr de retrouver les mêmes plans cent mètres plus loin, avec exactement le même angle de base de 35° et les magasins, les garages, les bureaux de tabac, les maroquineries. Adam élaborait mentalement son schéma : il y ajoutait bien d’autres choses. Si on prenait un angle de 48°3’, par exemple, eh bien on était certain de pouvoir le noter quelque part dans le Plan. C’était bien le diable si à Chicago il n’y avait pas une place pour cet angle ; alors, quand on le retrouverait, il suffirait de regarder le dessin pour savoir tout de suite ce qu’on avait à faire. A ce compte-là, Adam ne pouvait jamais se perdre. Le plus dur, c’était les courbes ; il ne comprenait pas comment il fallait réagir. Le mieux était d’établir un graphique ; le cercle, c’était moins compliqué : il suffisait d’en faire la quadrature (dans la mesure du possible, bien entendu) et de le décomposer en polygone :à ce moment là, il y avait des angles et on était sauvé. Il prolongerait, par exemple, le côté GH du polygone et il obtiendrait une droite. Ou même, en prolongeant deux côtés, GH et KL, il tomberait sur le triangle équilatéral GHz & il saurait quoi faire. »
Si le narrateur du livre de Berit Ellingsen utilise son exploration de la ville pour partir à la rencontre de lui-même, les rêves lui permettent d’envisager autrement le monde dans lequel il vit :
« Il ne se préoccupait pas tant que ça du contrôle de ses rêves. Il s’imaginait que tout le monde faisait pareil, simplement qu’on préférait ne pas trop en parler. »
Un sommeil sans rêve, j’aime beaucoup cette expression, car je ne me souviens que très rarement de mes rêves, je ne les au jamais notés dans un carnet laissé à portée de mains sur ma table de nuit.
Mes filles me racontent souvent leurs rêves au réveil. Par curiosité, je leur ai demandé de m’écrire les rêves dont elle m’ont parlé récemment, pour voir ce qu’il reste de leurs rêves une fois passés par l’écrit, comme sur le site Les rêves.
Voici le récit du rêve de Nina :
« Avant-hier soir je suis allée me coucher, quand j’ai réalisé que ma fenêtre était ouverte et que ma chambre était remplie de papillons de nuit. Ce n’est que le lendemain que j’ai réalisé que c’était un rêve et que j’avais laissé ma fenêtre fermée toute la journée. Je me voyais dormir et rêver dans cette chambre aux papillons. Je rêvais que je rêvais que j’étais allongée sur l’herbe, au milieu d’un champs de marguerite et que je luttais contre le sommeil. Comme avec le décalage horaire quand on rentre d’un voyage. Le pays que j’avais visité devait être loin, trop loin pour lutter, je m’endormais donc sur le lit de marguerites. Des personnes que je ne connaissais pas m’ont emmené dans un camion mais après cette épisode je ne me souviens plus très bien, je crois que j’ai aperçu mon collège. Je voyageais comme ça de rêve en rêve. Je me suis réveillée le lendemain, tout était tout à fait normal. »
J’ai demandé la même chose à Alice qui tient un journal de ses rêves (ce que j’ai découvert en lui demandant de me raconter elle aussi l’un de ses rêves comme sa sœur). Voici l’un de ses derniers rêves :
« Dans ce rêve, je suis un homme. Je le sais parce que je le sens. Je me sens plus grand, fort et imposant. Je suis poursuivi par des individus parce que j’ai fait quelque chose d’interdit. Je suis avec une très jolie fille, visage laiteux, cheveux fins, blonds vénitiens et regard piscine. Nous courons toutes les deux et nous nous réfugions dans un musée d’art moderne. On monte les escaliers quatre à quatre. Il n’y a personne. Nous nous cachons dans un recoin. Nous nous embrassons avec passion, nous nous disons des mots d’amour, très beaux, très forts. Soudain, nous entendons des hommes qui parlent et le bruit de leurs pas. Ce sont ceux qui nous poursuivent. La fille se blottit dans mes bras. Je sens son cœur battant fort. Je la protège entre mes bras puissants, la cache derrière une sorte de rideau. Je lui caresse les cheveux pour la calmer, mais elle ne peut retenir ses larmes. Je la tiens fort dans mes bras. Je sens le goût de l’excitation et de désir dans ma bouche. Soudain, les hommes nous voient. Je ne sais pas pourquoi tout à coup cela ne nous fait plus rien. Nous savons que rien de grave ne peut nous arriver. Nous nous embrassons avec la même passion. »
« Il y avait eu beaucoup de souffrance ici, mais, comme une fontaine, la nature avait repris ses droits sur le bâtiment. C’en était fini du passé, il n’y avait plus que le présent. Maintenant, les gens ne venaient plus ici que pour le frisson et la curiosité, tout comme lui. »
Les paysages de la ville vide décrite par Berit Ellingsen sont assez différents de ceux de l’île déserte d’Hashimadont je parlais récemment. Même si certains passages du livre rappellent l’exploration urbaine, cette activité consistant à visiter des lieux construits par l’homme, souvent abandonnés, en général interdits d’accès ou tout du moins cachés ou difficiles d’accès (métro, nombreux chantiers, usines, hôpitaux et autres bâtiments abandonnés, toits d’immeubles, monuments, souterrains, etc.). Dans la ville vide, c’est surtout dans le regard du narrateur sur ce qui l’entoure, les souvenirs qui lui reviennent en mémoire, qui l’entêtent, qu’on la découvre :
« Il était un nombre vide, une couleur sans couleur. Sa famille et ses amis parlaient à un esprit sans contenu précis, juste une mémoire encombrée, plus une collection d’habitudes et de réflexes. »
Sur cette photographie de l’île Saint-Louis prise en photo l’année dernière, le 14 Juillet, ce qui m’avait attiré, c’était justement cette impression de vide, la chaussée du Pont de la Tournelle était alors en travaux, en ce dimanche estival et jour férié la route avait été abandonnée en l’état par les ouvriers, en chantier.
« Quand il en eut assez, il photographia la ville vide et le calme qui attendait, essayant de saisir l’espace entre les objets. Il essayait que le vide ressorte autant qu’il le faisait dans ses yeux. »
J’aime me promener tôt le matin du 14 Juillet, à l’heure où tout le monde dort encore, après la fête de la veille, les feux d’artifice, et les bals des pompiers. La ville est vide, déserte. Avant que les hélicoptères et les avions de chasse du défilé viennent envahir le ciel parisien.
Photographie Planche-contact du samedi 14 juillet 2012, 14h30, Pont de la Tournelle, Paris 5e.
1 Commentaire
An essay on Une Ville Vide | Berit Ellingsen - Fiction Writer juin 03, 2014 - 23:29
[…] writer Pierre Ménard has written a wonderful essay about Une Ville Vide, the French edition of The Empty […]