Carnet de bord, semaine 45 11 novembre 2019 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : , , , , ,

publie.net, le feuilleton, à retrouver chaque semaine, par GV.

lundi

On s'imagine assez mal ce que peut représenter le raz-de-marée que constitue la sortie d'un nouvel Astérix en librairie. On nous dit souvent qu'un nouveau volume inédit peut transformer complètement le chiffres d'affaire de la BD sur une année. On se dit parfois qu'on exagère. Mais là, en voyant les chiffres de La fille de Vercingétorix, c'est assez vertigineux, surtout quand on compare avec les ventes qui complètent les premières places de ce classement tous segments :

Qu'est-ce que ça éclaire dans nos propres activités et pratiques ? Absolument rien bien sûr, tant nous évoluons dans un autre monde. Et à dire vrai, ce n'est probablement pas le même métier non plus (sans parler bien sûr des différences propres au genre et au format) quand bien même on trouvera le même mot (édition) pour les recouvrir tous deux. Un enseignement ceci étant en lisant ces tableaux (autrement particulièrement ineptes, on ne va pas se mentir) : ce qu'on a tendance à prendre, de l'extérieur, pour de l'édition mainstream, en réalité, n'en est pas. La vraie édition mainstream vend près de 600 000 exemplaires d'un produit phare dès sa première semaine. À côté, La panthère des neiges (pour parler de celui qui a eu le Renaudot sans pour autant figurer dans les sélections) ou Soif (pour parler de celui qui n'a pas eu le Goncourt alors que tout le monde pensait que si), c'est du bricolage.

 

mardi

Notre deadline pour la finalisation du catalogue (premier semestre 2020), c'est aujourd'hui. Nous terminons donc les derniers ajustements, ainsi que la liste d'envoi aux libraires (puisqu'il s'agira surtout de faire la promotion auprès des libraires de nos nouveautés à venir). Si la deadline est maintenant, c'est pour pouvoir passer rapidement à l'impression, et envisager l'envoi fin de semaine prochaine. Et éviter ainsi que la réception du catalogue, ainsi que les appels de Julie qui suivront, ne soient englués dans les semaines précédant Noël. Voilà pourquoi on dit souvent être en recherche de périodes de respirations : après la rentrée littéraire, puis la rentrée scolaire, puis la période des prix, il ne faut pas empiéter sur les fêtes de fin d'année, lesquelles seront comme chaque année suivie par la rentrée d'hiver (qui est devenue un truc alors qu'il y a quelques années encore, elle ne l'était pas), laquelle ouvrira sur une nouvelle période plus calme, au printemps, où, dixit un libraire, à part Guillaume Musso, Marc Levy et consort il ne se passe rien. Cette année, nous changeons de format de catalogue et avons opté pour une affiche avec, d'un côté, la présentation des livres à paraître au premier semestre et, de l'autre, un visuel reprenant un genre de centon des livres concernés, avec un passage par livre. Cela dessine, en creux, un genre de fiction fictive, extrait d'un livre qui n'existe pas, et qui pourtant nous ressemble. Du moins, nous incarne. Et, on l'espère, nous aidera à rassembler.

mercredi

Préparer (ou bien se préparer à ?) un salon, c'est un peu comme partir en vacances. Sauf qu'on ne part nulle part (dans le cas présent, il s'agit d'un salon à Paris), et que ce ne sont pas des vacances. Mais on a toujours la tentation de vouloir absolument finir tout un tas de trucs avant, n'ayant pas le temps de l'envisager ni juste avant (demain, ce sera la mise en cartons des livres), ni évidemment pendant, ni cette année après (partir à Strasbourg pour une rencontre début de semaine prochaine, ensuite ce sera le ballet incessant des envois de catalogue et de la mise sous plis). Ce qui signifie grosso modo que ce que je ne boucle pas aujourd'hui sera repoussé à dans un peu plus de dix jours. Quelques incertitudes, donc : aurais-je le temps de boucler le rapport d'octobre aujourd'hui ? No sé (en fait oui). Est-il possible d'imprimer sur des enveloppes destinées à recevoir du A4 pour nos catalogues-affiches ? No sé (en fait non). Quid des mails en retard pas encore répondus ? No sé (là, c'est compliqué). Aurais-je le temps de finir de travailler sur S. ? No sé (en fait oui). Aller chercher des enveloppes pour pouvoir les préparer pour le mailing de la semaine prochaine, c'est fait. Je passe par la petite papeterie en bas de chez moi pour faire marcher les commerces de proximité (good) et faire la nique aux grosses multinationales de la bureautique (ou bien, qui sait, de la bureaucratie ?) en ligne (good good), mais en rentrant je m'aperçois que, puisqu'ils n'avaient pas les enveloppes A4 que je prends d'habitude, ils m'ont mis à la place des enveloppes non adhésives (very very bad). Mon moi futur d'une semaine qui préparera les envois risque donc sérieusement de maudire mon moi présent et il aura raison. Sauf qu'en réalité, elles semblent coller. Je veux dire, littéralement. Dans la vie comme dans les préparation de mailing, il ne faut donc pas se fier aux apparences.

 

jeudi

Dépôt des métadonnées (qui, je rassure de suite Joachim, ne tueront a priori personne) pour L'homme heureux, Le Faune Barbe-bleue et Le Journal du Brise-lames. Pour L'homme heureux, Roxane termine son travail sur la couverture, laquelle s'apprête à détruire internet, ni plus ni moins.

Derrière, il faut préparer les stocks pour le salon demain, c'est-à-dire comparer des listes entre elles (le stock salon, le stock tout court, le stock salon, etc.) avant d'assister le soir à la rencontre avec Antonin Crenn à la Bibliothèque St-Éloi. L'épaisseur du trait revient donc sur son territoire, dans le quartier où la fiction prend ses racines. Pendant les lectures d'extraits et pendant l'entretien, deux interprètes en langue des signes se succèdent sur scène pour signer la rencontre, à l'attention du public malentendant. Visuellement, c'est assez émouvant de voir s'incarner le texte sous forme de gestes.

vendredi

Premier jour de salon. Et chaque année, à L'autre livre, les stands changent  : ça évite le côté fossilisation à vitesse grand V qu'on peut retrouver dans d'autres salons (être toujours au même endroit, d'année en année, jusqu'à devenir un genre de végétal faisant partie du lieu). Là, l'interrogation principale, c'est : aurons-nous un mur ? Comprendre, une paroi sur laquelle coller nos affiches ? La réponse est oui. Fait-il assez chaud ? Étant prêt de l'entrée, on peut craindre que non. Y-a-t-il un chien qui aboie à intervalle très régulier à l'intérieur de la Halle des Blancs manteaux ? Certainement, oui, mais jamais on ne verra son visage. Ayant fini d'installer un peu plus tôt que prévu, assis dans ce grand espace rempli de livres, je me retrouve à me dire : je j'ai pas pensé à prendre de la lecture...

À présent, pour des raisons de temporalité et de charge de travail, les paragraphes suivants du Carnet de bord seront écrits sous la forme de fragments télescopiques. Voyez ça comme une expérience littéraire.

"Le livre est très, très bien reçu et je n''en ai que des échos, hmm, formidables."

"C'est magnifique tout ça !"

Quelqu'un passe en sifflotant dans les allées (épisode 1).

"Cette année, on n'est pas allé au Marché de la poésie pour raisons financières."

Au sujet des ventes : "Bon, c'est rien. Mais à ton niveau, c'est très bien."

"Les bonnes librairies qui te soutiennent, ça ne suffit pas."

"C'est ouatté pour l'instant."

Conversation entre deux éditeurs : "Et vous en vivez ?"

"Vous n'êtes pas un autre éditeur ? — Non. — Ah..."

À propos de Coup de tête : "C'est trop sanguinolent pour moi."

Livres vendus aujourd'hui : 6. Proportion de livres sanguinolents : 0%. Progression du chiffre VS 2018 : +100%.

 

samedi

Deuxième jour de salon : de bon matin, quelqu'un chante une chanson des Demoiselles de Rochefort. Pensée à Anne Savelli.

"Ah, vous n'éditez que des textes en français ?"

"Il faut prendre des notes. Là, c'est des livres. C'est la littérature ! Si t'as pas ton stylo à portée de main, tu te feras jamais publier !"

Quelqu'un éternue sur un livre.

Pourquoi y a-t-il toujours plus de monde dans les autres allées que dans la nôtre ?

"Bonjour, je voulais vous remercier. Je vous ai envoyé un manuscrit que vous avez refusé, et vous m'avez fait une vraie note de lecture, c'est rare.

— Ah ! Ça vous a été utile ?

— Non."

"Tu ne m'as pas démoralisé, tu  as aimanté ma lucidité."

"Si tu m'achètes le mien, je t'achète le tien."

"L'année dernière (ce qui marchait), c'était la violence taïwanaise. Cette année, c'est le sexe coréen."

Livres vendus aujourd'hui : 23. Progression du chiffre VS 2018 : +56%. Fiabilité de ce calcul à 22h passé : 30%.

 

dimanche

Troisième jour de salon.

"Je l'ai rencontré plusieurs fois, oui. Mais je ne peux pas dire qu'on se connaisse."

"Mais c'est ça être un éditeur, et nous sommes un vrai éditeur."

"Et vous avez une ligne particulière ?"

Quelqu'un passe en sifflotant dans les allées (épisode 2).

Parlant d'un livre : "Bon, finalement, je vais pas le prendre. Mais je vais le prendre en photo."

"Je voulais pas lui mettre la pression... mais quand même."

"On attend le mécène."

Livres vendus aujourd'hui : 16. Progression du chiffre VS 2018 : +17%. Fatigue ressentie : 400%.