[NOUVEAUTÉ] Les Sonnets à Orphée, par Rainer Maria Rilke (nouvelle traduction de Lionel-Édouard Martin) 6 novembre 2019 – Publié dans : Notre actualité – Mots-clés : , , ,

Après les Poèmes nouveaux, l'an dernier et au printemps, en deux tomes, nous sommes heureux de poursuivre nos explorations des territoires rilkiens avec Les sonnets à Orphée. De nouveau proposé en bilingue, dans une nouvelle traduction de Lionel-Édouard Martin (ou plutôt transposition, écrit-il, tant l'action de changer les vers rimés en vers rimés d'une autre langue tient plus de l'alchimie et de la recréation que d'une stricte traduction de sens), ce nouvel ensemble est un point de jonction temporel entre les âges. Celui de la mythologie, d'où est issu le titre (le mythe d'Orphée et d'Eurydice mais avant leur retour dans les enfers pétrochimiques de Claire Dutrait), et notre époque présente, à laquelle semble sans cesse s'adresser Rilke, se projetant dans des au-delà impossibles à sonder (et qu'il traverse pourtant). Où sommes-nous alors ? Après la mort ? Moins  en réalité que quand, comme il l'écrit en début de recueil lorsque le vertige commence à prendre : "Mais nous, quand sommes-nous ?" Aujourd'hui, Les Sonnets à Orphée sont un classique incontournable de notre poésie européenne. Il est temps de les redécouvrir sous la lumière de cette transposition nouvelle.

De même qu’Alban Berg treize ans plus tard dédiera son concerto pour violon « à la mémoire d’un ange », Rilke compose en 1922 – et comme d’un seul souffle en trois semaines – les 55 sonnets constitutifs des Sonnets à Orphée à la mémoire (comme « tombeau », écrit-il en sous-titre du cycle) de Véra Ouckama Knoop (1900-1919), jeune danseuse qu’il avait prise en affection et qu’il incarne dans la figure d’Eurydice, pour dire que, face à la mort, il n’est d’espoir que de re-vie. Cette dernière, seul le chant du poète archétypal – le chant d’Orphée –, permet de l’envisager, au sens premier du verbe : ainsi voit-on la rose refleurir chaque année ; ainsi la fleur coupée, languissante, recouvre-t-elle sa vigueur pour peu qu’on la dispose dans un vase et l’humecte ; ainsi le printemps se révèle-t-il riche de promesses au sortir de l’hiver ; ainsi l’eau des aqueducs longe-t-elle, vive et perpétuelle, les tombeaux pour alimenter la bouche volubile des fontaines. Une strophe parmi d’autres dans le recueil résume peut-être cet espoir et cette sérénité :

Seul qui mangea avec les morts
du pavot, leur pitance,
saura des plus légers accords
garder la souvenance.

Comme si la mort seule nous unissait au chant. Comme si la mort seule en était l’origine.

Avant-propos, par Lionel-Édouard Martin

On a suffisamment commenté les Sonnets à Orphée, leur si rapide rédaction (en quelque trois semaines de février 1922), leurs thèmes proches de ceux des Élégies de Duino, leur source rythmique possible dans les Sonnets de Michel-Ange (à la traduction desquels Rilke travaillait à la même époque), pour que je ne sois pas tenté d’y ajouter mon grain de sel. De même pourrait-on penser qu’on les a suffisamment traduits pour que toute nouvelle traduction puisse sembler inutile. À cet égard, une évidence – ou est-ce une tautologie ? –, mérite toutefois qu’on la rappelle : ces Sonnets (puisque Rilke les intitule ainsi, dans un souci d’insistance) sont des sonnets, et relèvent donc d’une des formes poétiques des plus classiques, qui hante tout l’espace de la poésie européenne, depuis son invention au XIIIe siècle par (croit-on) Giacomo da Lentini jusqu’à nos jours. Certes, le spectre, volontiers protéiforme, peut apparaître sous différents aspects selon la façon dont on le convoque voire dont on le détourne, mais il conserve, en dépit de ses avatars, un fond formel qui le caractérise : d’abord, un nombre pérenne de vers, soit quatorze ; ensuite, une disposition de strophes, soit deux quatrains et deux tercets ; un système de rimes (ou d’assonances), enfin, dont la disposition peut varier, mais dont l’ordonnancement  respecte, en général, l’opposition entre le bloc des quatrains et le celui des tercets. 

Si donc on veut qu’il y ait sonnet, ce sont ces conditions qui doivent être réunies et qui doivent être respectées : on parlera, sinon, de poème de 14 vers, de « quatorzains » – mais sans doute pas de « vrais » sonnets. 

Or, au contraire de celles anglaises, l’écrasante majorité des traductions françaises des Sonnets à Orphée que j’ai pu consulter font des Sonnets des quatorzains, puisqu’elles ne sont pas rimées. À ma connaissance, seules le sont celle de Charles Dobzynski (La Différence, 1997), celle – incomplète et parfois simplement assonancée – de Maximine (revue Caravanes, n° 5, 1996). Encore ces adaptations ne suivent-elles pas les dispositions des rimes adoptées par Rilke et qui semblent, dans l’esthétique des Sonnets, une donnée fondamentale, dût-on pour s’en convaincre se référer à la seule statistique : sur 55 poèmes, on dénombre en effet pas moins de 23 combinaisons différentes de schémas rimiques, presque toujours fondées sur 7 paires de rimes (là où le sonnet traditionnel n’en compte que 5). Selon toute apparence, cette variation relève d’une volonté marquée de Rilke, et on ne peut douter qu’il ne faille, dès lors qu’en traduisant l’on attache à rimer, la prendre en considération pour tâcher de rendre au mieux, sinon au plus près, l’original. C’est aussi l’opinion de Claude Neuman, qui l’expose et la suit scrupuleusement dans son travail de traducteur des Sonnets (Ressouvenances, 2017). 

La présente traduction est donc la conséquence de ce constat et de ces réflexions : et, partant, de la nécessité de rendre aux Sonnets de Rilke leur qualité intrinsèque de sonnets, en rimant les vers français dans le respect de leur système, tant originel qu’original, de rimes – et, autant que faire se peut, dans leur rythmique, à l’accord de celle de la tradition poétique française. Cela implique sans doute de faire au texte quelques infidélités : je les espère rares et légères. Mais après tout : Les Sonnets à Orphée ne sont-ils pas un hymne au chant ? C’est ce chant, que j’ai visé, que j’ai cherché à transposer – car plutôt que de traduction, peut-être faudrait-il ici parler de transposition : dans le sens musical du terme, où il s’agit, à une voix, à un instrument, d’adapter une oeuvre en en gardant le caractère. 

 

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Tout comme les Poèmes nouveaux de Rainer Maria Rilke (en deux volumes, un, deux), L'ÉDITION NUMÉRIQUE propose plusieurs chemins de lecture >

136 pages
ISBN papier 978-2-37177-586-2
ISBN numérique 978-2-37177-221-2
14€ / 5,99€

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