Lettre d'info de février 2022 9 février 2022 – Publié dans : La lettre d'info – Mots-clés : ,



 

C Jeanney,
La nuit de Rachel Cooper

 

Pas besoin de s'inquiéter. Tout va pour le mieux et il n'y a rien à redire. Le monde est dans un bel état. Personne ne souffre. La littérature se porte bien, et personne ne l'exploite à son profit. Le livre n'est pas devenu une caricature de lui-même et les grands groupes industriels qui veillent sur lui sont une chance. Le monopole ne dérange rien quand il est vertueux. Le progrès conduit à l'éradication de la détresse et de la pauvreté. L'argent n'est plus un problème et le mal un mauvais souvenir. Les puissants sont bien intentionnés et les enfants mangent à leur faim.

La nuit du chasseur n'est donc plus d'actualité. C'est un vieux film, et même pas en couleur. La quasi totalité des actrices et acteurs à avoir joué dedans sont morts, sans parler de l'équipe technique, de la production. L'histoire qui y est racontée concerne un temps que les moins de cent ans ne peuvent plus connaître : autant dire que nous n'y sommes plus connectés en tant qu'époque. Tout a été avalé, raviné, par le temps. Laissons donc le passé dans le passé. N'en parlons plus, de La nuit du chasseur. C'est oublié.

Restons focalisés sur l'avenir et le présent, d'ailleurs ne regardons plus de films, ni ne lisons plus de livres, les élections sont là pour divertir celles et ceux qui sont en quête d'une occupation. Nul besoin de la fiction ou de la littérature pour voir ce qui nous touche déjà, merci, et que peuvent Robert Mitchum ou Marguerite Duras contre la disparition du monde dans cet autre monde de synthèse qu'est l'époque ? Le monde s'est couché. Il attend que la nuit s'écoule sans lui. Dehors, sous le porche, une vieille dame veille, dans un rocking-chair, armée d'une carabine. Elle chante. Cette nuit, c'est la sienne et pourtant elle nous sauve. Mais que fait-elle donc cette nuit-là, et toutes les autres nuits,  si tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ?

Réponse, et mille autres peut-être qu'on ne se pose pas, ce en quoi on a tort, dans La nuit de Rachel Cooper de C Jeanney, qui paraît aujourd'hui.



Elle regarde le film de Charles Laughton, La nuit du chasseur, avec dans une main un livre de Marguerite Duras, dans l'autre un souvenir de Raimu, dans l'autre l'araignée de Louise Bourgeois. Cela fait trois mains et non deux, c'est donc impossible. Ou alors c'est qu'elle jongle ? C'est qu'elle jongle.

Or ce film, recomposé par ses soins pour en révéler le spectre, c'est un multivers en soi. Un multivers pour elle. Tout part et tout revient à cette scène féministe emblématique : le personnage de Rachel Cooper, armé d'un fusil, reprenant le refrain de la chanson du chasseur, leaning, leaning, qui résonne à nos oreilles depuis plus de soixante ans. Ce moment, cette nuit, cette chanson, non seulement nous parlent mais parlent de nous. Et posent question. Lorsqu’ils chantent à l’unisson, le tueur et la protectrice, qu’est-ce que ça dit ?

978-2-37177-627-2
17€
192 pages

Un extrait

D’habitude, dans les contes, la différence entre le bien et le mal est claire. La différence nuit / jour aussi, mais il y a des contes nocturnes diurnes où le jour n’est qu’une nuit parallèle. Parfois des ombres s’enroulent à notre place. C’est là qu’apparaissent de vieilles femmes, leurs profils pourraient pratiquement venir se superposer au nôtre. Elles se balancent sur un rocking-chair, une carabine posée sur les genoux. Le salon est éteint. C’est la nuit. Dehors la lune éclaire une grange. Les yeux du prédateur brillent dans le noir. On entend chanter. C’est lui. Sa voix est délicieuse, elle sert à attraper la vieille femme, à l’étreindre, la broyer. Il chante pour tordre sa vigilance et altérer les rêves qui lui viendraient ensuite si elle tombait de sommeil. Mais la vieille dame ne s’endort pas. Les rêves sont comme les contes, semés un peu partout de fragiles feux d’artifice, froissés, papier de soie, avec sur la doublure, sur l’envers, leur contraire, ce qu’on appelle ordinairement du venin. C’est pour cela que, même en dormant, la vieille femme continuera à se balancer, les yeux ouverts, elle ne cessera pas de guetter. Elle chante.

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