[NOUVEAUTÉ NUMÉRIQUE] Le Peuple, de Jules Michelet 14 juin 2019 – Publié dans : Notre actualité – Mots-clés : ,

Habitué des grandes études (sur la mer, sur la sorcellerie, sur les insectes [à venir], sur les oiseaux, la montagne [à venir]…), Michelet peint dans Le Peuple un passionnant aperçu de toutes les strates de la hiérarchie sociale (l'ouvrier, le paysan, le fonctionnaire, le bourgeois, le marchand…), mais tient également une réflexion sur sa propre condition d'écrivain, d'historien, de « fils du peuple ». Toujours et plus que jamais d'actualité, Le Peuple, écrit à la fin du XIXe siècle, est un livre sur la servitude, une ode au monde de la paysannerie, une enquête sur la condition humaine, sur l'âpre bataille de la machine et de l'ouvrier, sur le pouvoir et l'aliénation de l'argent, et, plus largement, un livre sur la nation française et l'héritage des valeurs de la Révolution. Toujours passionnant, toujours passionné, Michelet nous fait découvrir une France qui, si nous n'étions pas sûrs d'être au XXIe siècle, nous semblerait étrangement proche…

« Ce livre je l’ai fait de moi-même, de ma vie, et de mon cœur. Il est sorti de mon expérience, bien plus que de mon étude. Je l’ai tiré de mon observation, de mes rapports d’amitié, de voisinage ; je l’ai ramassé sur les routes ; le hasard aime à servir celui qui suit toujours une même pensée. Enfin, je l’ai trouvé surtout dans les souvenirs de ma jeunesse. Pour connaître la vie du peuple, ses travaux, ses souffrances, il me suffisait d’interroger mes souvenirs.

Car, moi aussi, mon ami, j’ai travaillé de mes mains. Le vrai nom de l’homme moderne, celui de travailleur, je le mérite en plus d’un sens. Avant de faire des livres, j’en ai composé matériellement ; j’ai assemblé des lettres avant d’assembler des idées, je n’ignore pas les mélancolies de l’atelier, l’ennui des longues heures...

Triste époque ! c’étaient les dernières années de l’Empire ; tout semblait périr à la fois pour moi, la famille, la fortune et la patrie.

Ce que j’ai de meilleur, sans nul doute, je le dois à ces épreuves ; le peu que vaut l’homme et l’historien, il faut le leur rapporter. J’en ai gardé surtout un sentiment profond du peuple, la pleine connaissance du trésor qui est en lui : la vertu du sacrifice, le tendre ressouvenir des âmes d’or que j’ai connues dans les plus humbles conditions.

Il ne faut point s’étonner, si, connaissant autant que personne les précédents historiques de ce peuple, d’autre part ayant moi-même partagé sa vie, j’éprouve, quand on me parle de lui, un besoin exigeant de vérité. Lorsque le progrès de mon Histoire m’a conduit à m’occuper des questions actuelles, et que j’ai jeté les yeux sur les livres où elles sont agitées, j’avoue que j’ai été surpris de les trouver presque tous en contradiction avec mes souvenirs. Alors, j’ai fermé les livres, et je me suis replacé dans le peuple autant qu’il m’était possible ; l’écrivain solitaire s’est replongé dans la foule, il en a écouté les bruits, noté les voix... C’était bien le même peuple, les changements sont extérieurs ; ma mémoire ne me trompait point... J’allai donc consultant les hommes, les entendant eux-mêmes sur leur propre sort, recueillant de leur bouche ce qu’on ne trouve pas toujours dans les plus brillants écrivains, les paroles du bon sens. »

[extrait de l'introduction que Jules Michelet adresse à Edgar Quinet]

 

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ISBN numérique 9782371772182
1,99€

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Michelet se régale et on le sent. Il est le premier à s'embarquer dans ce voyage-là. Il est historien, habitué à dépouiller les vieux livres. Leur siècle déborde de récits de voyages et d'explorations. Il y puise. Il nous embarque vers les pôles, dans les mangroves. Il s'émerveille d'un colibri. Alors on se laisse faire comme par un grand poème. La nature avant ces gens-là est effrayante, ou utilitaire, ou la cible de la chasse (on n'en a pas fini avec les zigouilleurs d'oiseaux, mais Michelet est le premier à tenter de leur porter un coup). Après Michelet, ce n'est pas qu'on serait devenu savant sur la chouette, l'aigle et le vautour, la frégate, le pic ou l'hirondelle – c'est juste que chacun des oiseaux, même le timide rossignol chanteur, nous a appris quelque chose de notre humanité.

La mer, pour ceux du XIXe siècle, c'est un univers qu'on regarde soudain à neuf. Et Michelet s'en saisit à bras-le-corps dans cet élan de l'historien de la Révolution française : tableau global où tout, paysages, cataclysmes, étonnement, et le labeur des humbles, rejoint l'aventure humaine. Les phrases comme les pieuvres, les plages d'ici comme les pôles au loin. L'oursin comme la baleine... Michelet, même quand il regarde ce qui n’a pas d’histoire, en fait l’histoire de notre regard. Et il nous force à considérer comme histoire ce qui, en apparence seulement, est éternel. C'est la magie de ce texte immense, où on s'enfonce sans jamais regarder en arrière : l'horizon de mer est toujours devant. Ici il est aussi horizon langue.

Michelet, c'est l'irruption de l'Histoire dans la pensée, avec les outils de la littérature. Il vient de terminer son Histoire de France. Il reste tant de nuit. Dans cette nuit, le crime : crime collectif, même si l'Église lui sert de bras. Dans les manuels de l'Inquisition, dans les vieilles relations des procès de sorcellerie, Michelet découvre la naissance d'une idée : la femme. L'étendue du crime, les centaines ou milliers de victimes, en expiation de quoi ? L'inconscient collectif de l'homme face à ce qui lui fait peur. L'examen est révoltant, il est dur, à la limite parfois de l'insoutenable. Mais les rouages ne sont pas des fantômes dont nous nous serions à jamais débarrassés. L'enquête de Michelet est passionnante en elle-même, elle ouvre à grands pans sur notre présent. Préambule d'Hervé Jeanney.