[NOUVEAUTÉ] Douleur du Vendredi saint, de Yòrgos Ioànnou 11 avril 2018 – Publié dans : Notre actualité – Mots-clés : , , ,

La collection Grèce proposée par Michel Volkovitch depuis plusieurs années contient de véritables trésors. Certains de ces textes, disponibles uniquement en numérique, datent des premières années de publie.net et n'ont pas fait l'objet d'une publication papier. C'est le cas de ce Douleur du Vendredi saint de Yòrgos Ioànnou dont nous sommes très fiers de faire paraître aujourd'hui cette édition imprimée.

Douleur du Vendredi saint illustre le fourmillement de la mémoire : c'est dans la matière même de ses souvenirs, du temps accumulé, que Ioànnou est allé puiser le sel de ces récits qu'il nous livre avec tendresse, avec dureté parfois. Les amours y sont souvent impossibles et insatisfaites, le poids de la solitude est omniprésent, mais le désir, allumé par tous les gestes en présence, est dans tous les regards, et c'est lui qui donne le ton au texte, qui fait circuler le lecteur, la lectrice de nouvelle en nouvelle. Dans le tumulte du passé, c'est tout un monde de douceur et de sensations qui se révèle au fil de ces pages. Un monde sans doute révolu, mais dont l'empreinte est encore là.

 

Jésus et le grand Pan, postface par Michel Volkovitch

 

Yòrgos Ioànnou n’ayant jamais écrit que sur lui-même, de façon souvent très allusive, quelques indications sur sa vie ne feront pas de mal au lecteur.

Ioànnou naît à Thessalonique en 1927 de parents réfugiés, chassés de Turquie un peu plus tôt. Le père est cheminot, le fils devient professeur de lettres classiques. Il exerce un peu partout en province, et même en Libye pendant deux ans — son seul voyage hors de Grèce. Il publie deux minces recueils de poèmes et un de prose. En 1971, à quarante-quatre ans, quand paraît Le sarcophage, il est encore pratiquement inconnu.

Le sarcophage est l’histoire d’un couple. Elle, c’est Thessalonique, ville d’enfance et d’adolescence, mère détestée autant qu’aimée. Lui, c’est l’auteur lui-même. Ces 29 textes brefs forment une autobiographie à peine transposée. Ioànnou n’invente pas ses histoires : on n’écrit bien, dit-il, que sur ce qu’on a soi-même vécu. Plutôt que des nouvelles, ces textes sont des « proses », comme il les appelle, à mi-chemin entre l’autobiographie, la fiction et l’essai. Ajoutons-y la chronique : Ioànnou ne cesse d’entrelacer drames personnels et collectifs. Le charme et la force de ce livre, et des suivants, viennent en partie de là, de cet équilibre entre le je et le nous. En fait, mine de ses interdits, ses répressions cruelles et les prudences verbales qu’elle impose.

Après Le sarcophage, Ioànnou quittera pour toujours sa ville natale où il étouffe. Devenu athénien, il écrira encore deux livres d’essais sur Thessalonique et d’autres recueils de proses, dont Le dernier héritage, digne prolongement du Sarcophage, et surtout, publié en 1980, le flamboyant Douleur du Vendredi saint.

Que s’est-il passé ? Voici le livre le plus étonnant de Ioànnou. On reconnaît bien son monde et pourtant tout a changé. L’auteur est toujours là, au coeur de ces récits composites, inclassables — même si, à vrai dire, la part de fiction semble ici plus grande, même si l’auteur-protagoniste se dissimule à moitié parfois, passant du je au il — et même, une fois, sans doute, au elle… On reconnaît aussi les thèmes — solitude, amours impossibles, union de l’amour et de la mort, du sexe et du sacré, du désespoir et de l’espérance. Il est vrai que cette fois le narrateur s’enhardit, l’autocensure se relâche, l’aveu se fait nettement plus explicite. Mais la grande nouveauté, c’est un spectaculaire changement de voix. L’écriture ancienne de Ioànnou, brève, ramassée, à la fois dense et trouée de silences — du court qui en dit long — est soudain balayée par un grand souffle, comme si une digue cédait soudain, et un torrent de mots déboule tout au long de paragraphes immenses, de phrases qui n’en finissent pas, dans des histoires qui sentent l’insomnie et la fièvre, hallucinées, égarées, où les lieux et les temps parfois se mêlent, brûlantes, où parfois l’on se perd.

Le sommet de cette vague — ou le fond de ce tourbillon —, c’est sans doute la nouvelle éponyme, aux phrases débordantes, grouillantes comme la foule, étouffantes comme le parfum des fleurs, obsédantes comme des chants d’église, scandées par des citations des Écritures à la fin des paragraphes — « comme des points d’orgue ou des stations sur le chemin de croix », m’écrit l’auteur dans une lettre en 1982. Toute la sensualité que les Grecs ont mise dans la religion, cet étonnant mélange de Jésus et de grand Pan toujours vivant, aucun texte ne l’a aussi bien montré, je crois, que ces dix pages illuminées. Elles resteront ce que Ioànnou a écrit de plus fort et de plus fou, mais les douze autres nouvelles du recueil sont à peine moins frappantes, par l’étrangeté des situations, leur érotisme imprégné d’angoisse, l’accord entre héritages païen et byzantin, et par l’audace exacerbée d’une écriture aventureuse, tâtonnante par instants, excessive, mais dont les excès eux-mêmes sont nécessaires.

Ioànnou n’ira pas plus loin. Il reviendra plutôt en arrière dans ses derniers textes. Il meurt prématurément, en 1985, à cinquante-sept ans, laissant d’autres proses, des traductions du grec ancien et du latin, des recueils de contes, de chants populaires, de pièces pour le théâtre d’ombres.

Il m’a donc laissé seul au moment où je m’apprêtais à m’occuper de lui. Le traduire a toujours été pour moi une obsession. J’ai à peine connu l’homme, je ne partage pas ses choix amoureux, mais ses choix d’écriture sont tout proches des miens. Ses écrits ne sont pas seulement parmi mes préférés, toutes langues confondues ; si je me suis mis à écrire, c’est en partie grâce à eux ; ce sont eux surtout qui m’imprègnent et que j’imite sans le savoir quand je délaisse les Grecs pour l’écriture en solo.

Entre mes premières traductions de Ioànnou et celles que j’achève aujourd’hui, vingt ans ont passé. M’ont freiné divers obstacles matériels, éditoriaux par exemple. J’ai eu la chance de caser dans une revue le texte initial, mais quel éditeur français, avant publie.net, aurait osé publier l’ensemble ? Une splendeur si insolite ! Des nouvelles en plus, genre méprisé chez nous ! Les voir enfin offertes au lecteur francophone, et c’est pour moi une récompense, un soulagement infini.

La présente édition propose onze textes sur treize. Certains passages, obscurs pour les Grecs eux-mêmes — y compris parfois pour les familiers de l’écrivain — reçoivent une tentative d’explication dans les notes. Ma traduction arrondit un peu certains angles, mais j’aurais dénaturé le texte en y versant trop de lumière. Un grand merci à Ghislaine Glasson-Deschaumes qui accueillit Ioànnou jadis dans la revue Lettre internationale, ainsi qu’à Dìmitra et Mihàlis Milaràkis, soeur et beau-frère de l’écrivain, et Orsalìa Synteli, qui m’ont patiemment guidé dans certains passages obscurs.

 

180 pages
ISBN papier 978-2-37177-193-2
ISBN numérique 978-2-8145-0214-7
16€ / 4,99€

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