Critique de L'Être urbain de Raymond Bozier 8 juin 2013 – Publié dans : La revue de presse, Notre actualité – Mots-clés : , , , , , ,

Merci à Étienne Ruhaud pour sa critique de L'être urbain, de Raymond Bozier et merci à @jppastor de l'avoir portée à notre connaissance. Retrouvez l'article original sur son blog

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coverÉcrivain reconnu, récompensé par le prix Poitou-Charentes et le Prix du Premier roman en 1997 pour Lieu-dit (éditions Calman-Lévy), Raymond Bozier s’est d’abord consacré à la poésie, développant une esthétique rare et exigeante à travers trois recueils : Roseaux (CCL éditions, 1986, réed. publie.net 2008), Bords de mer (Flammarion, 1998) et Abattoirs 26 (Pauvert, 1999, rééd. publie.net 2010)Acceptant volontiers l’expression de « poésie matérialiste » dans un entretien accordé à Diérèse numéro 35 (automne 2006), R. Bozier déclare également ne pas en avoir fini de penser la question de l’urbain, de l’urbanité, de l’abord des villes. C’est dire si les textes de ce nouveau livre restent résolument orientés sur le présent, vers les espaces contemporains, évoquant cet éloignement de la Nature dont parlait l’auteur dans Bords de mer des mots entortillés/entre les façades/de l’espace urbain/hors les fenêtres/les planchers et les plafonds/agrippés à leur coin de bitume (« fouille 3 — variation 1 »)Édité par les soins de François Bon sur le site publie.net, L’être urbain se différencie ainsi résolument du lyrisme traditionnel, et procède d’une démarche profondément novatrice, originale, proche de l’esthétique objectiviste et loin de tout conformisme. « Fragments de l’ère industrielle » pour reprendre ses propres termes, les poèmes de Raymond Bozier s’écartent effectivement de l’intériorité quelque peu narcissique d’une certaine production actuelle, ou de l’abstraction, pour se tourner vers l’extériorité. Loin de toute boursouflure, la plume acérée du poète saisit le réel avec une saisissante netteté, fixe des instantanés en termes brefs et concis, ce qu’Yves di Manno appelle une objectivité sans froideur les parterres de fleurs/la sonnerie d’un téléphone/le repos des choses. Il ne s’agit pas pour autant d’un simple relevé, d’une pure succession d’objets. Mue par un rythme puissant, la parole se déploie par blocs typographiques séparés, ce qui ouvre la voie à plusieurs lectures, à une lecture à plusieurs voix, comme on peut le voir dans le documentaire réalisé par le Conseil Régional : appuie pose ils diront appuie ils diront pose j’appuierai je poserai une nouvelle fois mon front mes mains. Recevant des ordres, des injonctions émanant d’une mystérieuse autorité, une sorte de Big Brother immanent, le narrateur nonidentifié obéit docilement, travaille, produit, mange, dort, tremble. La Société de consommation se cache ainsi derrière des slogans, les marques de cosmétiques énumérées dans « fouille 23 — Galerie marchande » : Rouge à lèvres fard mascara cils fonds de teint. N’éprouvant aucune fascination pour le décor, la réalité qu’il décrit, Raymond Bozier condamne avec subtilité un système froid, dépersonnalisé et dépersonnalisant, incarné par des logos, un espace mental et géographique appauvri, générant injustices, frustrations et violence : je dégagerai les mots/je frapperai/à grands coups de hache/contre le mur de la réalité/ils diront hurle/ils diront meurs/je hurlerai/je mourrai/sans que nul ne s’en inquiète (« fouille 18 — lit »). Raymond Bozier souhaite dire quelque chose du Monde sans qu’on puisse pour autant parler d’écriture engagée au sens sartrien.

Dénonçant la solitude, l’exclusion (L’être urbain est dédié « aux dormeurs de plein ciel de l’avenue Suffren »), le poète n’apporte pas de solutions toutes faites, de programme idéologique, mais se contente en quelque sorte de dépeindre, de constater, comme si la poésie sauvait, quelque peu, du désespoir : Ce qui rend serein, c’est la certitude que son poème ne peut plus être touché, qu’il est tel qu’on l’attendait, posé là, comme un roc, et prêt à affronter son lecteur.

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