Carnet de bord 2021, semaine 24 20 juin 2021 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés :

publie.net, le feuilleton (que le monde du livre nous envie) à retrouver chaque semaine, par GV.

lundi

C'est l'heure de l'AG annuelle. Il y a des résolutions des bilans des rapports. C'est approuvé (ouf). Nous sommes en petit comité sur un outil qui nous retranscrit à l'autre sous la forme de têtes dans un écran. C'est le futur. Il y a du vent de la grêle un orage en formation un moment mais pas dans toute part des parties de l'écran. Le futur, c'est peut-être orageux mais pas partout à la fois et pas au même moment, méditons là-dessus.

mardi

À un moment par téléphone je dis organiser un combat entre un écrivain et un bouquetin c'est sûr que ça ferait venir du public ou quelque chose comme ça. Puis quelqu'un dira les mots cabinet de Manuel Valls (quelle angoisse). Par écrit dans un message je dis j'ai tendance à procrastiner la paperasse (que j'écris d'abord par erreur paparasse, malaise) puis ailleurs on a plein de trucs ouf en 2022 (sous-entendu des textes à venir) et ce sera leaké sur les réseaux, la preuve.

Pendant un long moment je relis l'un de ces trucs ouf à venir en 2022 sur lequel j'ai l'impression de n'être pas réellement utile : c'est que tout y est déjà, tout est pesé, soupesé, équilibré, tout est parfait en fait  alors c'est à peine si je chipote sur telle virgule, ou telle absence de virgule ou bien un doute sur ceci-cela. C'est bien évidemment une bonne chose (le texte tient, il n'y a que des retouches mineures à envisager, s'assurer que tout est cohérent, régulier) mais je ne peux m'empêcher d'avoir la sensation de ne pas faire ce qu'il faut, de ne pas avoir une capacité d'action véritable, de ne pas faire de différence (ce qui est une façon bien terre à terre de voir les choses en réalité). Il s'agit d'un texte que j'ai déjà lu il y a plusieurs années : j'en ai bien entendu des souvenirs, à la fois vagues et précis, ça dépend des moments. Mais disons, de son énergie générale. Et de son, le mot est d'importance, architecture. Voilà, depuis que je l'ai lu une première fois, quand il m'arrive de repenser à ce texte, car il m'arrive régulièrement d'y repenser, voilà ce que je visualise d'abord, l'architecture. Je me souviens m'être dit la première fois : ça peut sembler intimidant comme construction. Et puis, derrière, à force de me remémorer le texte je ne revoyais plus ça comme un problème mais comme une essence. C'était son identité. Relisant à présent de façon plus active le manuscrit, il m'arrive de me dire : peut-être peut-on changer ceci, déplacer cela, raccourcir ici ou là, etc., c'est-à-dire grosso modo ce que je me dis toujours en relisant un manuscrit. Mais là, ça ne marche pas de bouger, même mentalement. Dès qu'on dérange quelque chose, on risque de troubler toute la structure. Il m'a fallu un moment pour comprendre exactement de quoi il en retournait. Que l'architecture de ce texte était elle-même la solution au problème qu'il donnait l'impression de poser. Ce que devrait être chaque livre finalement. Je ne m'exprime peut-être pas très bien. C'est difficile de mettre le doigt sur une telle singularité. Mais une fois réalisé tout cela, c'est-à-dire grosso modo une fois atteint le terme du manuscrit, j'ai cessé de me sentir pris en défaut par le texte, je ne me suis plus senti coupable de ne pas avoir un rôle à y jouer (ne pas assez être force de proposition, ne pas assez imaginer un autre récit que celui que j'avais sous les yeux) : mon rôle s'était joué sans que le sache. Non pas à mon insu, mais dans la construction de ma pensée.

mercredi

Travailler sur un texte d'un auteur ou d'une autrice qu'on connaît (qu'on lit déjà, je veux dire, et peut-être même depuis longtemps) est très différent de travailler sur le texte de quelqu'un qu'on découvre. Indépendamment des qualités d'écriture de chacun, de l'univers des uns et des autres, des genres qu'ils choisissent ou non d'explorer, s'investir dans le texte d'X ou Y n'est au fond qu'un prolongement de plusieurs années de lecture régulière déjà entreprise, c'est donc une progression naturelle dans l'œuvre. Travailler avec quelqu'un qu'on découvre (par exemple un premier roman) implique de tout questionner, de tout soupeser, de tout comparer pour être en mesure de savoir ce qui tient et ce qui ne tient pas, pour en déduire l'architecture (encore ce mot) aussi. Lorsque X ou Y on le lit régulièrement depuis plusieurs années, peut-être même en connaissant le grain de son timbre parlant (ou lisant, par exemple en public), tout est beaucoup plus évident tout de suite. On saisit les rythmes et on entend la voix. On sait rarement où on veut en venir à l'avance (les gens ne sont pas forcément plus prévisibles parce qu'on les a déjà lus par le passé) mais on avance en confiance dans leur cheminement. C'est une trajectoire sûre. Je ne dis pas que c'est mieux ou pire qu'autre chose, mais c'est une autre approche qui nécessite une autre attention.

jeudi

Retour dans les fourmis (comprendre donc dans La vie des fourmis). Mais ce ne sont pas réellement des fourmis. Ce sont en gros des fourmis, mais plus précisément ce sont des Dorylinæ, des Cerapachyinæ, des Ponepinæ, des Leptanillinæ, des Pseudomyrminæ, des Myrmicinæ, des Dolichoderinæ, des Solenopsis Fugax (si vous êtes en quête d'un autre nom pour écrire un livre sous pseudonyme, je suggère Solenopsis Fugax, allez hop c'est cadeau), des Formicinæ, des Myrminicæ ou des Formicinæ, sans oublier les Iridomyrmex Gœpperli (liste non exhaustive). Je relève la tête un moment pour voir que la lecture est décrétée grande cause nationale du gouvernement. ...  Je retourne dans mes fourmis. J'y côtoierai également les Blattoïdés et les Protobattoïdés des époques lointaines et antérieures, autant dire que je ne pourrais pas être plus éloigné de l'agitation du monde d'après.

vendredi

Fourmis encore. J'ai dû dénicher une autre source que mon édition au papier jauni pour vérifier quelque chose dans un paragraphe. Ce faisant, voilà que je découvre, plutôt qu'une réponse à une question que je me pose, une question sans réponse que je ne me posais pas avant de m'y plonger. Dans mon vieux livre il est question ici de La Polyrhachis Ypsilon, de Sumatra (...) dont le thorax est formé de deux écrous plats, surmontés d'un gros bouton de jais et terminé par une lourde ampoule d'ambre, tandis que la version trouvée en ligne indique elle qu'il s'agit d'une Polyrhachis Appendiculata, d’Australie. Il y a tout de même 4430 km entre Sumatra et l'Australie (ce n'est pas rien). Or, s'il y a bien une chose que nous apprend AntWiki (si ce n'est qu'il existe dans ce monde un AntWiki, d'où provient par ailleurs cette photo de l'Ypsilon) c'est que la Polyrhachis Ypsilon ne ressemble pas du tout à la Polyrhachis Appendiculata. Que faire ? Manifestement, nos sources sont différentes, il y a dû avoir plusieurs éditions du livre, incluant sans doute des corrections, ou des aménagements du texte. La logique serait d'opter pour la dernière édition en date et de troquer Sumatra pour l'Australie. C'est ce que je fais. Mais tout de même. Quelle histoire.