Carnet de bord 2021, semaine 22 6 juin 2021 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : , , , , ,

publie.net, le feuilleton (que le monde du livre nous envie) à retrouver chaque semaine, par GV.

lundi

Je peux être fier de moi. Je progresse. Je fais des efforts démesurés. Voyez plutôt : voilà que passe sur ma route un tweet de Livres hebdo, renvoyant donc vers un article de Livres hebdo, particulièrement caricatural et je me précipite pour répondre un truc à la fois sarcastique et amusé et agressif qui font la gloire des réseaux sociaux... et au moment de le poster je l'efface et je reviens à autre chose car au fond tout ça n'a aucune importance, et Livres hebdo est une cause perdue. N'est-ce pas merveilleux ? Ou pas. Pour mesurer cette action héroïque (cette non-action en réalité), il faut se dire je suis sans arrêt tiraillé par Livres hebdo. Par exemple, une touche (ou une combinaison de touches, je ne sais) sur mon clavier m'ouvre automatiquement un article de Livres hebdo. Ce n'est pas des blagues. Il m'arrive régulièrement d'appuyer par inadvertance sur cette touche (ou combinaison de touches, donc), le plus drôle étant que je n'arrive pas à comprendre où elle se trouve, juste que ça arrive quand je déborde un peu sur une autre ou que je ripe en voulant aller vite, et cette touche est un raccourci prévu pour ouvrir un navigateur bien particulier, que d'ordinaire je n'utilise pas, mais que j'ai utilisé pour la dernière fois sur Livres hebdo, donc, raison pour laquelle il m'affiche sempiternellement cet article, dernière page jamais ouverte dans son historique. C'est une assez belle métaphore de l'édition, et de l'écriture en général : si tu n'y prends pas garde, tu vas finir sans le vouloir par tomber à pieds joints dans le cirque du marché.

mardi

J'enchaîne depuis plus d'une semaine des relectures de textes en chantier, dans lesquels des choses bougent ou sont amenées à bouger, alors on déplace mentalement sans cesse des morceaux, on fait du Légo narratif et on voit où la porte d'entrée la plus efficace peut se mettre. Ici ? Là ? Un peu plus loin encore ? C'est tangent. Du coup, je suis moins présent sur les mails ou les réseaux, je mets la tête dans le guidon du jour et quand je relève les yeux le jour est passé. Quelques petites respirations tout de même : X SP rentrée où l'on se dit qui doit le recevoir le plus tôt possible, qui peut attendre un peu ?  Je ne sais pas exactement quand  (et comment) on en est venu à passer de il faut que les journalistes puissent avoir les livres en main avant l'été à les plans médias sont bouclés en mars, tout est déjà joué. Croire encore à ce stade que la qualité intrinsèque des livres à quelque chose à voir avec le degré de présence médiatique à l'automne relève sans doute du déni ou de l'hallucination collective. Fort heureusement, d'autres perspectives sont plus douces : réception des épreuves de Dérouler le fil de Marguerite Audoux et Enfin tu regardes l'herbe, deux beaux bébés à paraître justement à l'automne. Et puis la présence de Sœur(s) dans la première sélection du prix Hors Concours.

mercredi

J'avais prévu de travailler sur ce texte deux jours et demi quasi à plein, à une heure près j'étais right on schedule. Et puis patatra (j'aime bien dire patatra : c'est déjà la deuxième fois dans ce carnet cette année que je l'emploie, après une fois en 2020 et deux déjà en 2019) : pour une raison qui m'échappe, et de toute évidence inexplicablement, je ne retrouve que 340 annotations sur mon PDF au lieu des 577 en totalité. Plus inexplicablement, seule la première moitié du doc est impactée comme on dit de nos jours sur les plateaux télé, alors même que l'outil n'a pas varié entre le début de ma lecture et la fin. L'ironie de la situation, c'est bien sûr que le travail sur PDF est censé nous prémunir de tout problème de compatibilité matérielle entre les différents traitements de texte de chacun. Enfin, bizarrerie suprême des outils électroniques : je peux tout de même exporter toutes mes annotations sous forme de fichier texte pour pouvoir les retrouver mais pas les avoir affichées sur le PDF à l'autre bout du tuyau. De deux choses l'une alors : soit on se colle immédiatement au boulot de reporter manuellement les commentaires fantômes du fichier texte vers le PDF via un autre outil pour pouvoir le renvoyer à l'auteur, soit on prend la tangente et on cherche un autre moyen de tout exporter d'un coup. Somme toute nous voilà face au dilemme suivant : consacrer un temps long mais fixe à faire une tâche rébarbative ou investir un temps plus incertain mais potentiellement plus bref à trouver une solution technique qui saurait résoudre le problème en quelques secondes. Le souci étant que dans la deuxième option, plus on cherche moins on trouve et plus on a cherché plus on se dit que vu le temps investi à ne pas trouver, ce serait réellement du temps perdu d'abandonner maintenant... et fatalement on finit par s'en remettre à la solution rébarbative au bout du compte.

jeudi

Pendant que Philippe et Manon se coordonnent pour une vague de règlement de droits d'auteur, retour à Chooper Mercurey. Chooper Mercurey ne s'appelle pas réellement Chooper Mercurey, c'est un nom de code avec Christine. Quelque part c'est une blague. Mais voilà qu'elle m'écrit, accompagnant cette nouvelle version : tout le temps que j'ai rebossé sur cette version, mon doc s'appelait Chooper Mercurey, et c'est sans doute idiot, mais ça m'a un peu aidé question distance. Or il est précisément question de distance : est-ce que ça a vraiment du sens de parler en profondeur d'un texte qui ne paraîtra que l'an prochain ? N'est-ce pas un peu contre-productif ? Et n'est-ce pas faire injure aux livres présents, qui eux doivent vivre et être défendus ? Ou peut-être que ce qui fait injure aux livres déjà parus, c'est de tomber dans le vortex du marché du livre avec son taux de rotation express. Pour tel titre paru à la fin du premier trimestre, dans telle librairie, c'est déjà fini. Il nous est retourné après avoir passé littéralement 62 jours sur table (je ne compte même pas en jours ouvrables). C'est comme ça. Faut-il s'habituer ou au contraire garder sa capacité d'exaspération intacte ? Ou alors faut-il se plonger à corps perdu dans Chooper Mercurey... D'ailleurs c'est quoi, Chooper Mercurey ?

Un texte qui ne serait ni un essai, ni romanesque, ni un récit, ni poétique, ni documentaire, mais un peu tout ça à la fois, en petites quantités. Sans doute ce qu’on appelle un texte « hybride », ce qui est une autre façon de dire « bourde », mais élégamment.

Lequel fait écho, chez Philippe, à ce passage de Little Boy de Lawrence Ferlinghetti, décédé il y a peu :

… a poem with an invisible subject like a novel that has no plot but wanders around, in which its characters wander around through life in what would appear to be an aimless fashion, or at least with no steady intention or aim, and in the end, even the author has no idea where his back is headed or will end up, just like life itself, and if art is supposed to imitate life we are left with a masterpiece the past a heap of broken images and the future an infinite no -man’s-land…

vendredi

Roxane est plongée dans l'édition intégrale du Cycle de la nature de Maeterlinck et il est plus que temps d'activer dans l'OCR de la Vie des fourmis, qui clôturera le livre. L'édition que j'ai, jaunie mais relativement intacte, est celle de Fasquelle, 1930. À l'intérieur se trouve un bout de page arraché à un autre livre, servant j'imagine de marque-page pour la dernière lecture du ou de la propriétaire précédent(e). Le papier était au niveau de la partie Notions générales qui suit l'introduction. On peut y lire des bribes de phrases coupées, comme on peut le voir ici.

J'ai googlé ces agrégats de mots pour retrouver le livre dont est tiré ce fragment, sans succès. Je n'ai pas cherché longtemps. Et ça ne me sert à rien. On aurait pu en rester là. Sauf qu'un peu plus loin un deuxième document est glissé dans le livre, cette fois au chapitre Communications et orientation. Il s'agit d'une petite carte postale envoyée de La Baule. La carte est datée du 22 août, et expédiée le jour même, mais l'année est peu lisible sur le tampon de la Poste : peut-être 30 pour 1930, ce qui serait cohérent vu l'année de parution du livre. Le destinataire vit à Pornic, à la Pension Meunier. Le message est très court, et peut être reproduit ici : J'ai bien reçu vos cartes, merci. Nous sommes ici depuis deux jours. Il fait assez beau mais peu de soleil. Nos amitiés à tes parents. Je t'embrasse, Simone. L'adresse figurant sur le tampon précise La Baule, Plage du soleil, Golf 18 trous.

On peut supposer que la personne a acheté ce livre lors de sa parution, puis l'a lu en partie, puis s'est arrêté en cours de route, pourquoi ? Les derniers mots figurants avant le marque-page de fortune sont les abîmes du firmament. Est-ce de nature à démoraliser un lecteur ? Ou bien alors la personne a lu un autre livre entre-temps et a oublié celui-ci à jamais. Ou bien c'était une relecture d'un chapitre clé et on n'est pas allé plus loin. Ou bien encore la personne n'a pas cautionné la fourmi en tant qu'espèce, sachant que certaines variétés sont esclavagistes. On ne saura pas. Au fond c'est sans doute à considérer comme une métaphore à nouveau (une pour ouvrir la semaine, une autre pour la refermer). Un truc du genre : ce qu'on met de soi dans un livre. Quoi qu'il en soit j'ai replacé la carte précisément au même endroit, entre les pages 140 et 141, comme si c'était là sa place à présent et qu'il fallait respecter ça.