[NOUVEAUTÉ] Nouvelles de la ferraille et du vent, de Hédi Cherchour 17 avril 2019 – Publié dans : Notre actualité – Mots-clés : , , ,

Aujourd'hui, on publie quelque chose d'assez unique et on a besoin de vous. On met les pieds ailleurs. Mais un ailleurs assez radical, viscéral même, qui n'est pas seulement un lieu dans l'espace (la vie dans les cités dans le Sud de la France), ni un moment dans le temps (les années 80) mais un ailleurs qu'on pourrait tout simplement appeler poésie, en réalité. Nous sommes pourtant, avec ces Nouvelles de la ferraille et du vent, dès le titre, dans un genre bien précis, celui de la nouvelle. Mais tout est poésie dans cet élan dingue qui nous fera passer de personnage en personnage, d'environnement en environnement, puis viendra le temps des parkings de béton en passant par la solitude des âmes seules le long des Nationales, les centrales nucléaires et même la campagne ardéchoise. Tout est poésie dans ces portraits de femmes et d'hommes débordés par leurs propre substance, leurs ombres et leurs désirs qui sauront les entraîner, et nous avec, bien au-delà d'eux-mêmes. Allez vérifier par vous-mêmes : Diacritik a publié il y a quelques jours la première nouvelle du livre, accompagnée de la préface que lui a consacré Charles Pennequin (à lire aussi ci-dessous). C'est à retrouver en accès libre.

Mais un recueil de nouvelles, c'est compliqué à vendre, tout le monde vous le dira. Pourquoi ? On s'imagine qu'en France, on n'est pas de gros lecteurs de nouvelles. Alors que se passe-t-il quand un.e auteur.e écrit un recueil ? Il ou elle l'envoie à un éditeur, qui lui répondra, vous savez, en France, les nouvelles ça ne se vend pas. Et combien recommanderont à la personne d'en faire plutôt un roman ? Mais quand bien même, admettons qu'un éditeur les publie, ces nouvelles : lors de sa présentation de catalogue à son diffuseur, il y a de fortes chances qu'on lui dise ah, les nouvelles, ça ne se vend pas. Mais continuons de remonter la chaîne : lorsque les commerciaux du diffuseur rencontreront les libraires, ils passeront bien souvent ce recueil, ça je n'en parle pas, c'est des nouvelles, on laisse tomber. Quand bien même le recueil finira dans les stocks d'un libraire, ce sera venu le moment de la présentation des livres sur les tables, et là patatra : ah, un recueil de nouvelles, ça ne vend jamais, et le recueil finira dans l'un de ces rayons à l'écart ou au niveau du sol où bien souvent personne ne va. Du côté des journalistes, ce sera grosso modo la même chose devant les exemplaires envoyés en service de presse : on ne peut pas parler de ça, ça n'intéresse pas les gens. Pas tous, fort heureusement. D'ailleurs, sur l'état des lieux de la nouvelle en France, lire notamment le bel article que lui a consacré Emmanuelle Favier sur Mediapart (accès abonnés). Mais une fois la durée de vie du livre épuisée (qui est de plus en plus courte à présent, comme on le sait malheureusement), le livre sera retourné et le stock mis au pilon. Et tout le monde aura eu tort et raison à la fois, toujours le plus sincèrement du monde d'ailleurs : ce recueil de nouvelles ne se sera pas vendu. Mais dans quelles conditions ? Et vous comprenez à présent pourquoi on a besoin de vous pour nous aider à porter ce livre.

Alors pourquoi publier néanmoins un recueil de nouvelles et en faire l'un de nos temps forts de notre année littéraire ? La réponse est dans la question : ce livre, c'est un grand moment de littérature en soi. C'est une langue absolument fascinante et qu'on n'a jamais lue nulle part. C'est un regard, non seulement sur la vie dans les cités mais sur la vie tout court qui déplace nos structures de pensée, qui dérange notre rapport au réel, qui fait de nous non des témoins de scènes éparses mais des compagnons de route. En cela, là encore, ces Nouvelles de la ferraille et du vent, et au-delà des strictes questions de genre, de forme, de collection, de rayons, font œuvre de poésie.

 

Ils jouent entre deux barres d’immeuble, ramassent des fruits l’été, trainent le long des parkings et des nationales. Parfois ils prennent la route jusqu’aux gorges de l’Ardèche, ou rentrent du travail dans l’ombre d’une centrale nucléaire, quand les aléas du quotidien ne les conduisent pas directement à la morgue. Ils sont chez eux et néanmoins ailleurs, quelque part dans les années 80. Ils rêvent de lendemains plus doux. Ce sont les personnages d’Hédi Cherchour et leur vie les charrie de fièvres en fièvres. Dans ses Nouvelles de la ferraille et du vent, elle raconte l’émigration et l’exil, donne la parole aux anonymes et aux oubliés, dresse des portraits de femmes et d’hommes comme on en lit rarement. Surtout, elle sait dépeindre les cités telles qu’elles sont : sans maquillage ni concession. Aussi tendres que cruels, souvent vus à hauteur d’enfants ou de passants, ces contes d’aujourd’hui, qui sont autant d’histoires où la violence, les désirs et les amours font rage, n’ont rien du fait divers : ils nous montrent qui nous sommes et appellent, pour nous sauver, toute la vivacité d’une langue qui témoigne, phrase après phrase, d’une forme de poésie la plus viscérale.

 

Préface, par Charles Pennequin

La première fois que j’ai rencontré Hédi Cherchour c’est par ses textes, ces textes qui se trouvent ici même. Hédi m’avait contacté via Facebook pour me demander si je pouvais lire ses nouvelles et j’ai répondu oui. C’est rare quand je dis non, même si souvent les textes qu’on m’envoie sont rarement bons, parce qu’ils sont faits bien souvent par des gens qui écrivent sans rien lire. Ils ne s’intéressent pas à la poésie contemporaine, ou très peu, et encore moins à mes recherches. Ils ne savent rien de mon travail et en plus ils sont mauvais et donc ils retardent drôlement. Parfois il y a cependant des textes qui sont écrits sans retard d’aucune sorte, mais bien souvent ils n’ajoutent rien à ce qui s’est déjà écrit de la manière la plus moderne, la plus expérimentale. Maintenant on a facilement connaissance, quand on fait un master d’écriture ou quand on est aux beaux-arts, de ce qui se pratique dans ce qu’on appelle la poésie contemporaine. La poésie contemporaine c’est un peu comme l’art contemporain. C’est un peu à la mode, c’est propret, c’est vegan et c’est parfois formellement inventif, mais c’est sans jus aucun. Ça mettra rarement sa peau sur la table, comme disait Céline, la poésie contemporaine. Et du coup ça ne dit rien de la vie. Ça ne porte guère à conséquence. C’est de la poésie qui ne fait pas de mal à une mouche. Ça fait mal à rien, car c’est aimable et gentil et c’est ainsi que la poésie s’écrit et se publie dans la France, même chez les éditeurs soi-disant avant-garde. D’ailleurs, chez les avant-gardes, on l’a regardée de haut Hédi Cherchour. Écrire des nouvelles c’est pas bien ils ont dit dans l’avant-garde. Parler des pauvres sans qu’il y ait le côté formel, le témoignage intellectuel et objectiviste. Parler des cancrelats de dessous la France d’en bas, comme disent les politiques et les journalistes. Parler des pauvres bougres de son quartier, ça fait mauvais effet dans l’avant-garde philosophico-textuelle, car il faut prendre ses distances et avoir une autre vue, une vue depuis les hauteurs de l’auteur, une lecture autre que ces pauvres gens dont on parle et qui ne sauraient nous lire entre les lignes. Dans l’avant-garde philosophico-textuelle et engagée politiquement on peut parler des pauvres, certes, mais on ne se mêle pas à leurs douleurs ni à leurs cris, on n’est pas au ras des pâquerettes, car la poésie contemporaine française doit rester hautaine, elle doit faire sa rebelle avec les institutions et prendre en otage la pauvreté mais pas baigner dedans tel un cloporte. Et c’est ça qui dérange chez Hédi Cherchour, car chez elle tout est vu depuis un balcon de l’immeuble où se passent les drames. Ça rit et ça fait pleurer, mais par le dedans, car avec Hédi l’écrit n’est jamais au-dessus de l’autre. On est en plein dedans et on y vit. On est loin de l’écrivain qui écrit depuis sa tour d’ivoire mais aussi très loin du poète qui écrit entouré de ses amis artistes, de ses amis choisis de la militance et de la poésie. Cherchour ne dit d’ailleurs pas qu’elle fait de la poésie, même si dans ses écrits il y en a à toutes les lignes. Elle ne dit rien d’ailleurs. Elle constate et elle a mal aussi. Elle a mal pour son contemporain. Elle se met dans les gens indigents, ou plutôt elle se fond dans l’indigence des mots. Elle est aussi parmi les méchants, Hédi Cherchour. Ceux qui toisent. Ceux qui en ont marre de ces habitants chapardeurs, de ces familles tuyaux-de-poêle. Elle aussi elle est totalement tuyau-de-poêle avec ses nouvelles depuis la ferraille et le vent ! Mais par là même, elle montre qu’elle ne s’élève pas au-dessus de la pensée des siens, elle regarde juste depuis longtemps ces familles qui l’entourent, elle les regarde avec lucidité et amour (et il y a beaucoup d’amour et d’histoires d’amour chez Hédi Cherchour). Il n’y a parfois rien à racheter dans ces gens dirait-on, sauf peut-être une phrase, sauf un geste ou un regard, une action qui sauverait peut-être toute une destinée. Elle raconte ces existences qui l’entourent et fait une pause sur quelque tranche de vie salopée par l’existence moderne ; elle occasionne des ralentis sur un mouvement, une attitude d’un de ces pauvres hères que l’histoire a vite effacés. Elle capte des moments de grâce que personne n’a forcément vus. Certains ont sans doute senti ces moments-là mais personne n’a cru que ça pouvait intéresser quelqu’un, parce que la honte ici recouvre tout. Parce que de toute façon c’est tout un peuple qui git dans la honte de lui-même. La honte d’exister. D’ailleurs, il n’existe pas ce peuple. Il est, et c’est déjà beaucoup semble-t-il. Mais être ce n’est pas tout à fait exister, n’importe qui peut être mais comment faire pour créer un devenir de soi alors qu’on ne fait juste partie que d’un moment sociétal, sans même faire mine d’y participer. Ça fait juste la masse dedans. Une masse inerte, tel un boulet. Une masse de gens comme un boulet sociétal que la civilisation devra penser malgré tout. Car il faudra panser les plaies de ce boulet pense la société et c’est bien ça qui pèse sur ces gens des quartiers, comme si c’était leur faute d’être là, comme un peuple de gisants. C’est la crasse sociétale, la vie crasseuse et même pas marrante, la vie honteuse du peuple-boulet des quartiers que soulève un peu Hédi Cherchour, mais pas pour dire qu’il faut s’y intéresser, telle une fine sociologue qui arriverait comme arrivent toujours les experts en sociologie : après la bataille de la vie. Elle nous montre juste des beautés que personne n’a voulu voir. Elle nous fait toucher cette grâce-là, avec ses formules magiques et ses phrases parfois lapidaires. C’est ça qui me retourne chez Hédi. C’est son côté direct et en même temps toujours très élégant. Ça sent l’être chez Hédi, c’est-à-dire que ça sent la merde, pour paraphraser Antonin Artaud. Excusez-moi, chère Hédi, d’avoir cité un poète, mais il s’agit aussi chez vous de montrer la cruauté, de pointer le moment cru, c’est-à-dire la pointe la plus extrême, le moment renversant de ces vies dans la bouillie française, la bouillie de cette France qui s’est tellement bien organisée pour ignorer l’autre. Je ne connais pas d’écriture aussi franche et aussi belle que celle d’Hédi Cherchour aujourd’hui. Je ne connais pas d’autre exemple contemporain qui peut rivaliser avec la force de cette « écrit-vaine ». Peut-être faudrait-il aller chercher loin dans le passé littéraire français, aller voir du côté de Georges Bernanos par exemple, qui disait vouloir montrer le diamant dans le charbon. Mais Cherchour ce n’est pas non plus notre nouvelle Mouchette de chez les berbères de banlieue de la Drôme, ce n’est pas la poète du zoufris ou de la kahba même si elle semble être l’unique écrivain de plain-pied chez les maudits de ce pays. Même si elle montre un pan de ce que serait l’or noir dans notre littérature d’aujourd’hui, un petit pan comme un rideau trop vite tiré sur les années quatre-vingt. C’est bien plus que ça, Hédi Cherchour. Cette artiste n’a rien d’une porte-parole. Elle nous montre l’or pur dans toute la merde des paroles contemporaines, qu’elles soient pré ou post-black-blanc-beur. Elle n’est pas non plus la littérature au bon beurre des bobos, celle qui veut soigner les maux sociétaux et notamment dénoncer le racisme depuis les bons quartiers. Elle ne dénonce rien la Cherchour. Elle se marre puis elle nous fait aussi pleurer sur tous ces temps misérables. Elle fait remonter des moments dans toutes ces vies bâillonnées et bétonnées puis si vite oubliées. Pas pour qu’on n’oublie pas, mais pour qu’on se dise que peut-être c’est nous aussi qui remontons grâce à elle depuis ces oubliettes à vent et à ferraille. C’est nous aussi qu’on voit dans ces portraits-là. C’est nous qui sommes pris pas loin de ces petits riens qui sont comme des flashs qu’on se prend quand même en pleine gueule. C’est nous aussi qu’on devine là, passants non loin de ces spots de vies, car ce sont des spots comme on dit dans le surf ! Des spots de vies parallèles aux nôtres, nous qui croyons être sous la bonne lumière française, le bon siècle lumineux avec nos tronches d’ombre, alors que ça brille de vie ici aussi ! Ça brille dans ces vies tout à la fois tragiques, sinistres et drôles. C’est nous aussi qui devinons dans cette écriture que nous avons encore des moments chouettes à vivre, ici, dans cet hexagone avec ses zones franches, ces zones pas très apollinairiennes où toutes ces mauvaises et bonnes nouvelles ne demandent pas mieux de partager leur saine colère. C’est nous aussi qui sommes en rage grâce à ces récits qui redonnent enfin vie à la poésie d’ici ! C’est pour ça que quand Hédi Cherchour m’a envoyé ses textes, je les ai lus de suite, je les ai aimés et je lui ai dit un gros Merci ! Merci Hédi, maintenant tes textes sont mes meilleurs amis !

 

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140 pages
ISBN papier 978-2-37177-572-5
ISBN numérique 978-2-37177-206-9
14€ / 5,99€

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