[REVUE DE PRESSE] Thomas Galley lit le premier tome de La Saga de Mô 21 octobre 2014 – Publié dans : La revue de presse – Mots-clés : , , ,

Une chronique aux mots aussi percutants que le sont ceux du livre : merci (encore) à Thomas Galley que vous pouvez retrouver ici sur son site.

L’été avec ses Lectures estivales, c’est déjà presque de l’Histoire ancienne, mais voici que l’automne commence sur les chapeaux de roues avec un texte superbe que nous devons à la plume de Michel Torres et aux ambitions éditoriales de Publie.net, éditeur de renom et de qualité qui s’est lancé dans un projet ambitieux en nous annonçant rien moins qu’une série de six titres, La Saga de Mô, inaugurée par le volume que nous présentons aujourd’hui à nos lecteurs, La Meneuse. Il faut sans doute préciser que le titre est déjà sorti au joli mois de mai, et que j’ai été quelque peu retardé par mon amour de la plage (ou devrais-je dire par mon amour de l’amour à la plage ?), mais peu importe, il m’a nargué pendant de longues semaines, et je me suis jeté dessus à la première occasion. Et je ne l’ai pas regretté, bien au contraire.

torres_moJ’ai l’habitude, chaque fois que je reçois un nouveau titre, de jeter un coup d’œil dans le premier chapitre, de glaner quelques phrases par-ci, par-là, au gré des divagations de mes doigts sur le clavier, et j’avais gardé, de La Meneuse, le souvenir d’une écriture aussi vivace et singulière que je me suis déjà sérieusement demandé si le texte avait seulement des chances d’être à la hauteur de mes attentes. Comment vous dire ? Je n’ai pas seulement pas été déçu, j’ai littéralement été ravi par la force brute de cet auteur qui a su, avec une griffe impitoyable, déchirer le voile de l’Histoire et me transporter dans un temps si peu distant et si profondément révolu pourtant qu’on se croirait revenu à l’âge des légendes. Le tout s’ouvre sur un cortège qui n’a rien à envier à celui qui traverse le chef d’œuvre d’Ingmar Bergman, Le septième sceau, cortège intemporel de tous les carnavals du monde où la mort se frotte aux vivants, où le grotesque ré-intègre, le temps de quelques heures, de quelques jours tout au plus, la caravane des mortels qui s’achemine, inexorablement, vers la fin de toutes choses. C’est le temps des vendanges, dans un domaine du sud de la France, près de Marseillan et du bassin de Thau, mais l’aventure qui vient de s’ouvrir ne tardera pas à sortir de ce cadre si précis et si bien ancré dans le terroir pour guider le lecteur vers un rendez-vous des plus impitoyables avec l’Histoire et les blessures que cette garce-là tend à infliger à celles et à ceux qui sont obligés de la faire, la subir, la vivre et – finalement – d’en crever.

Au cœur de tout cela, un gamin, Mô, quelque part entre enfance et adolescence, déjà suffisamment attiré par les charmes des filles pour se perdre dans ses rêvasseries, mais assez enfant encore pour se laisser engloutir par les récits et les légendes puisés un peu partout, dans les rayons des bibliothèques, dans les colonnes du journal et sur les lèvres des vieilles et de des vieux. Ces récits, il s’en gave tellement qu’il doit les faire sortir, et il profite pour ce faire des nuits, temps précieux où le monde adulte s’endort pour laisser en liberté les enfants qui, eux, prennent le large, s’engouffrent dans les marais avec leurs les bas-fonds où pourrissent les légendes et les siècles, pour en tirer les cadavres mal décomposés. Et quand ils reviennent vers les rivages du présent chargés de ce poids immonde, c’est pour découvrir que d’autres cadavres s’y promènent en liberté. Doucement, un monde rempli de douleur se révèle devant les yeux écorchés, et les vers de Baudelaire trempés dans le sang et le vin sonnent la cadence de cette descente aux enfers.

Tout ça se passe en 1960, quatre ans seulement avant ma naissance, mais le parfum que respire ce récit pourrait être celui de la prise de Jérusalem par les croisés ou celle de Constantinople par les Ottomans. Michel Torres s’empare de nos mains pour nous emmener vers des terres traîtres où les pieds s’enfoncent dans la vase. Où les relents d’un passé en décomposition s’échappent en bulles puantes qu’on est forcé à respirer sous peine de crever asphyxié, mais il ne faut pas espérer de se réveiller des cauchemars qu’elles font germer dans nos cervelles empoisonnées. La rencontre que prépare le récit si bien construit du premier volume de la Saga de Mô se révèle fatale non seulement pour la Meneuse, mais aussi et surtout pour les illusions et les rêves enfiévrés de l’enfance, une enfance promise à se dissoudre dans l’univers des adultes qui se dévoile si impitoyablement devant les yeux mêmes de celui qui est obligé de mettre tout ça en récit, Mô.

On sait que le numérique ne suit pas les mêmes lois que l’édition classique avec ses événements commercialo-littéraires préparés de longue date, et ne jouit surtout pas de la même attention de la part des médias absorbés par le cortège des rentrées – littéraires ou autre, mais Publie.net n’aurait pu choisir un meilleur moment que le printemps pour révéler un auteur comme Michel Torres avec ses textes qui font ressusciter un monde en pleine fermentation, un monde où les fleurs plongent les racines dans les eaux des cadavres, un monde qui engendre la beauté en se décomposant. Parce que, si les paradis ne sauraient être qu’artificiels, la réalité, ô lecteur, te fracasse la gueule au-delà de tout espoir sauf celui de t’embarquer pour l’hiver pour y cacher tes misères au fond du froid et de l’obscurité.

Prochain rendez-vous avec un auteur à ne pas rater : Aristide, tome 2 de la Saga de Mô, disponible à partir du 01 décembre, dans toutes les bonnes librairies numériques.

Se procurer le livre, en papier et numérique.