Nous nous formons par la ville. Et nous échafaudons notre compréhension de la ville depuis les ruptures, depuis ce que nous n’en comprenons pas. C’est le travail mené intuitivement par Balzac puis Baudelaire dans l’accession de Paris au statut de ville moderne, c’est les grands élans de Dickens (dans le Magasin d’antiquités la traversée tout droit de la petite fille et du grand-père quittant Londres radialement, dans la Maison d’Âpre-Vent la géographie administrative de la justice se superposant au plan topographique de la ville, dans la Petite Doritt la façon dont la prison recompose une ville laboratoire dans la ville, etc...). Puis, sur ce fait arbitraire de la rupture littéraire, viennent les théoriques : le travail de fond de Walter Benjamin dans les Passages et son essai sur Baudelaire, et tous ces livres qu’on accumule, de Michel de Certeau à Rem Koolhas.
La donnée nouvelle : là où nous pensons nos villes, le modèle inauguré par le surgissement des rocades et des tours, dans les années 70, la recomposition globale du territoire qui a suivi, échappent au modèle de la ville se reconstruisant sur elle-même, inauguré par Haussmann, n’explique plus ce que le développement urbain contemporain fait de nous, jusque dans nos perceptions, nos utopies, nos constructions imaginaires nécessaires pour s’approprier le présent. Il faut réinventer le connu dans nos vieilles rues, nos coutumes de vieux pays : l’écart de la ville neuve, de la langue devenue inconnue, en est le chemin quasi obligé.
Oublier tout cela. Compte l’écriture. Que, face au nouveau, nous réagissions par des mots que nous ne pouvons rayer, parce que nés de cette confrontation neuve. Et, dans notre façon d’écrire-lire le réel, qu’on puisse le documenter à mesure par l’image, et qu’ici s’établit le campement d’écriture.
New York incarne forcément de façon privilégiée cette rupture génératrice d’écriture – voir le mot-clé New York sur publie.net, avec mon propre Hoboken avec Jérôme Schlomoff, ou Michèle Dujardin, ou Laurent Herrou avec jeanpierre Paringaux, ou le Los Angeles de Frank Smith.
Daniel Bourrion rapporte de New York des questions. L’impression que le choc langagier, la distorsion des images, ce n’est pas la posture fétiche et pourtant dominante de l’auteur questionnant le réel qu’il se soumet, c’est en quoi le réel neuf vient nous questionner nous, en retour. Travail en nous depuis le récif ville, ce qu’il contient d’utopies niées, de fantasmes amplifiés, d’expérience évidemment décalée du proche.
Et si la ville est partout liée, dans notre pratique même, au fait qu’on utilise Internet pour la rejoindre, s’y repérer, s’y renseigner, comment cela n’ouvrirait pas à la littérature une piste neuve, si l’écriture surgit d’emblée pour la forme numérique ?
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