Merci à L'Espadon pour cette chronique que vous pouvez retrouver ici-même.
Pour qui lit, écrit et s'intéresse à l'acte de mettre en mots et en pensées des impressions, du vécu, une nécessité, une pulsion, l'essai de Benoît Vincent est souvent passionnant. Ils sont même plutôt rares ces livres qui s'intéressent aux livres, c'est-à-dire aux textes, à ce qu'ils disent d'une époque, d'un monde, d'un état, et à ceux qui les font. Un postulat, donc, la littérature inquiète, vue et analysée dans les écritures de Nicole Caligaris, Guillaume Vissac, Pierre Senges, Antoine Volodine Blanchot et bien d'autres... Royaume de l'incertitude, du silence, de la violence, de l'ambivalence, la littérature semble ici une façon " de ne pas céder à la tension de l'image". "Les mots sont alors le secours de celui qui réfute l'obscénité du déjà-vu". Cet essai à ceci d'enthousiasmant qu'il n'est pas nécessaire de connaître par coeur l'oeuvre des auteurs cités, Benoît Vincent sait nous faire entrer dans leurs mystères, leurs questions et in fine leurs matérialités.
Comme dans tout livre, j'ai tendance à croire qu'on se lit d'abord soi-même et qu'on écrit d'abord à partir de soi. Partant de ce constat, tout n'a pas fait écho en moi dans cet essai. Par ignorance, intérêt divergent, ou sensibilité différente. Mais de nombreux passages jettent une nouvelle lumière sur des pratiques qui, à force d'être répétées sans recul, en deviennent ronronnantes. Comme un refresh mental, cet essai tente à sa manière de cerner l'état d'une certaine littérature, plus expérimentale dirons-nous, ou du moins en recherche pour offrir de façon tout à fait subjective et personnelle, quitte à aller dans la fiction, des pistes de lecture et d'écriture, une façon d'orienter le regard et de nous montrer ce qu'on ne voit pas ou ce qu'on refuse de voir. La littérature comme un désir inquiet, peut-être, impossible à satisfaire et toujours en tension.
L'idiot, parce qu'idiot, pose ces questions. Il dit avec ses mots, voilà. Il parle dans sa langue, voilà. Il est idiot, il emploi l'idiome, voilà. Toute la littérature est idiote.
Cet essai pose en réalité une question simple : pourquoi lire écrire ? Sans conjonction. Comme si lire c'était déjà écrire et inversement. Je regrette parfois de ne pas plus maîtriser la théorie critique, il doit y avoir beaucoup de choses que je ne vois pas. Soyons honnêtes, je ne comprends pas tout non plus mais l'idiot a un pouvoir, celui de la lenteur. Je me reconnais dans cette littérature idiote (lumineuses pages 99 et suivantes). La littérature comme un cadre, une traduction permanente, le mouvement du va-et-vient, le revers, l'objection, l'inversion. La lenteur qui donne une respiration à notre inquiétude, de l'épaisseur dans le temps, l'idiome de l'idiot. La littérature aussi comme une impuissance, une incapacité à dire, qu'il faut lire puis écrire. Si cet essai me parle, c'est qu'il sait naviguer entre des apports théoriques et le regard subjectif de celui qui finalement ne sait pas grand-chose, ignore ce qu'il faudrait savoir. On le sait, qu'il l'ignore, puisque nous avons sous les yeux un livre de presque 200 pages qui ne parvient pas à dire qui est l'écrivain, qui est le lecteur : un double, un autre-soi, des communautés sensibles, de pensées et de regards ? La littérature comme un lien tourmenté, une conjonction de coordination entre les ignorances. Une attache de désir et d'impuissance ? Oui, j'aime cette dernière idée.
Qui est l'écrivain ? Ce n'est pas • quelqu'un qui tient un blogue — ou pas seulement. De nombreuses personnes écrivent sur blogue, comme les amateurs cités plus haut noircissent pages d'écriture —loin de moi l'idée d'être méprisant — mais ça ne suffit pas, paraît-il, à "faire oeuvre" — ils ne sont pas des écrivains.
Essai donc passionnant que je relis souvent et qui encourage à la réflexion, sème des idées ici ou là pour comprendre, ou du moins cerner, l'inquiétude qui mène à lire écrire et sa traduction narrative.