[REVUE DE PRESSE] Doucement (!) : diluer les petites tyrannies quotidiennes (L'Espadon) 19 avril 2021 – Publié dans : La revue de presse
Merci à L'Espadon pour cette belle chronique à retrouver ici-même.
—
La poésie sur L'Espadon n'est plus réservée au vendredi et déborde désormais sur les autres jours de la semaine. Doucement (!), recueil signé Katia Bouchoueva, nous promène dans une géographie vécue multipliant les rencontres, les sites, les voix et les perspectives, avec un goût pour le déracinement en douceur, à l'affût des indices d'un quotidien français digne d'observations ou de descriptions. Des curiosités bucoliques, historiques pour offensive poétique délicate. On y croise Marion, l'Ardèche, Grenoble, un vieil homme, madame Morin maudite par l'amour d'un con, des gens, des paysages, des animaux, des voyages, des châtaignes et des étudiants de Montpellier...
La douceur des mots s'infiltre dans des scènes quotidiennes où l'auteur s'interroge et s'étonne des attractions (le Mont Blanc et la Tour Eiffel qui tiennent debout), des attirances entre les corps, les idées, les lieux, la poésie pour les croiser et les filtrer au son des mots, des rimes pour n'en retenir qu'une âme, les "sentiments de ce monde". Vaste entreprise attaquée par son versant musical à la grande échelle individuelle. On voudrait coincer les êtres dans une identité des lieux quand la poésie de l'auteure tisse le dialogue entre des territoires familiers, là où elle se sent chez elle parce qu'elle les aime, et le souvenir de lieux datés mais bien vivants dans la tête du narrateur. On passe d'une évocation russe (la Sibérie, Tchékov, Marx) aux paysages du Vercors, de la "Sainte Russie" à la Drôme pour mieux ouvrir l'horizon du présent au regard des mémoires, et évoquer avec douceur des glissements ou un pays enraciné dans sa quiétude administrative. Les portraits sont portés par la joie d'une langue joueuse qui dessine des manières d'exil et de rêveries aux allures de contes peuplés de totems, pour goûter les caresses de la France qui ont parfois une longueur en bouche amère. Moins le pays que les noms, les individus et leur passé sous forme d'histoires projetées dans des terres à aimer. La France est belle, nous disent ces poèmes, encore faut-il s'entendre sur le bon grain et l'ivraie.
" Crapaud— encore crapaud—
plusieurs crapauds —
goutte d'eau
sur la peau de mon drapeau.
GRE-noble cours Jean Jaurès.
Déborde l'Isère,
soupire la montagne.
La quiétude dans ce recueil pour mieux diluer les petites tyrannies quotidiennes propre à désenchanter le réel. Reste la poésie, ce refuge pour les rencontres et le dialogue en terres sauvages, gauloises, ce doux cocon qui a des airs de boxon à mettre en chanson. Doucement (!), la jolie ritournelle de Katia Bouchoueva.