Carnet de bord 2020, semaine 42 18 octobre 2020 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : , ,

publie.net, le feuilleton (que le monde du livre nous envie) à retrouver chaque semaine, par GV.

lundi

La semaine commence bien. Dans un mail à quelqu'un, j'écris les mots : je vais tâcher de réorganiser ça pour être plus efficace (c'est et ce n'est pas un gros mot). Ça augure aussi bien de ma journée : efficace, je ne le suis pas. Comme souvent avec Excel, je passe plus de temps à essayer de me souvenir comment on fait tel truc plutôt qu'à réussir à le faire effectivement (ce qui, en réalité, ne prend que quelques secondes) mais ça n'est pas le principal souci : le principal souci, c'est que mon fichier pèse une tonne. Étrange, compte tenu du fait que c'est un fichier simplissime avec deux colonnes et, certes, un bon millier de lignes (mais enfin qu'est-ce qu'un millier de ligne dans une vie tabulée ?). Il pèse 9Mo et rame pas mal, c'est chelou. Qu'à cela ne tienne : on va le convertir en CSV, qui sait pèsera-t-il moins : erreur, il pèse maintenant 55Mo (qu'on m'explique où se situe la différence). Je m'obstine donc à continuer sur mon .xls, tant pis, ça ramera. Avant de réaliser que mon fichier de mille lignes était en réalité un fichier bien plus vertigineux : ça vient probablement du fait que, pour une raison qui m'échappe et comme on dit en pareilles circonstances indépendante de ma volonté, mes mille lignes ont été copiées non une mais mille fois. Je vous laisse faire le calcul, ça dépasse mes capacités mentales. Et voilà comment on passe d'un fichier de 9Mo à 41ko en passant par 55. Ce qui ne m'aidera en rien à affronter cet autre dilemme : recherchant dans mes contacts, tomber sur l'adresse email d'un mort. Que faire de cette adresse email ? Que faire de ce mort ? Rien pour l'instant. Je veux dire, je ne l'ai pas retiré d'aucun carnet d'adresse. C'est sans doute une histoire de superstition. C'est sans doute une histoire de mémoire. Je ne sais pas. D'ailleurs, je ne vais pas au bout. Je laisse mon carnet là. Je passe à autre chose.

mardi

Vie de spam : faut-il se fier à Dimitri (Boostez votre chiffre d'affaire, le tout suivi d'une image de fusée décollant, pour aller où, mystère, qui nous propose de ranker sur Google) ou à Harry Watkins (What B2B marketing can learn from consumerism with a conscience, tout un programme) ? Puis vient le moment de consulter les ventes du matin (donc de la veille) : comme depuis plusieurs jours maintenant, nous vendons principalement du fond, et principalement à des sites de ventes en ligne (celui auquel vous pensez mais pas que). Plus de la moitié de nos ventes Hachette depuis début du mois, tout de même, le tout à un moment (après l'entonnoir de la rentrée littéraire, après la période dite des scolaires, après les premières listes de prix) où en théorie les indés peuvent espérer une forme de respiration. Mais là non. Ou, disons, moins. Pourquoi ? My guess : soit les librairies flippent d'un reconfinement possible et surveillent leur stock, soit elles sont sous l'avalanche des titres qui auraient dû sortir au printemps et sortent finalement à l'automne (avec X bestseller dans la danse), comme évoqué lors d'un précédent carnet. Ou alors un subtil (et mortifère) mélange des deux, ainsi que je l'écris à l'équipe... De fait, quand on consulte les statistiques de parution sur Dilicom, voilà ce que l'on constate : un peu moins de 100 000 nouveautés (comprendre : titres parus depuis moins d'un an, au-delà c'est considéré comme du fond) coexistent, dont plus d'un quart pour la seule littérature générale. Le nombre total de titres en circulation avoisine les 1 500 000. C'est absolument délirant : comment la librairie peut survivre à ça ? Comment les auteurs peuvent survivre à ça ? Comment les éditeurs peuvent survivre à ça ? À qui (ou quoi) profite cette avalanche, pour ne pas dire (suspens dramatique enclenché) le crime ? Que faire dans ce cas ? Son travail. Relire des épreuves arrivées hier, noter ce qu'il faudrait modifier, storyfier (donc mettre en scène) ses faits et gestes, réorganiser ses tableaux pour être plus efficace dans ses démarches presse, finir un manuscrit qu'on aime mais dont on doute qu'on sera en capacité de le faire aimer à d'autres, se poser tout un tas de questions, se parler à l'infinitif. S'écrire ici.

mercredi

Une lettre ouverte à la ministre de la Culture a été envoyé par les organisateurs du Marché de la poésie. On peut la lire en ligne entièrement sur le site du Marché, mais il apparaît particulièrement instructif de mentionner ici ce qui s'est passé en coulisses et a conduit à l'annulation de la Foire St Sulpice, dont dépend le Marché. Qu'on voit un peu de quel manque de considération il s'agit (c'est moins l'interdiction de la Foire qui pèse que le silence de la préfecture) :

Le Marché de la Poésie réunit chaque année pendant cinq jours place Saint-Sulpice la production éditoriale de poésie et de création. Cette manifestation est un événement important pour l’ensemble des acteurs de la chaîne du livre, de l’auteur au lecteur, en passant par les éditeurs, libraires et médiathécaires.
Se tenant habituellement en juin, notre manifestation se situe dans le cadre de la Foire Saint- Sulpice qui rassemble différents marchés (bibliophilie, céramique, jeux mathématiques, estampe, antiquaires, photographie...) se déroulant successivement, ce qui permet une mutualisation des moyens logistiques.

Au seuil du mois de mars la situation sanitaire l’imposant, alors que notre programmation était prête, nous avons dû nous résoudre, non pas à annuler l’événement, mais à le reporter en octobre avec l’ensemble de ceux de la Foire Saint-Sulpice. Ainsi, fin septembre, la bibliophilie a-t-elle commencé le cycle, suivie de la photographie, de la céramique, puis de l’estampe.
Le lundi 5 octobre, après les annonces du Préfet de police de Paris et les conséquences prévues à partir du mardi 6 octobre, le Marché de l’estampe qui se tenait alors, a suivi son cours jusqu’à ce qu’un courriel de la préfecture s’étonne que la Foire Saint-Sulpice soit encore ouverte. La responsable de la Foire Saint-Sulpice, Mme Marie Utreh, s’est alors rapprochée de la Mairie du 6e Arrondissement de Paris pour examiner la situation. La Préfecture de police avait convenu de statuer dès le lendemain sur le sort de la Foire. Entre temps, le site est donc resté fermé au public alors que devait commencer le Marché des Antiquaires.
Vendredi 9 octobre, sans retour de la Préfecture, l’avocat de Mme Utreh apprenait qu’il n’y aurait aucun retour faisant part d’une décision du Préfet de Police de Paris. La résolution fut alors prise de ne pas rouvrir, de manière à ne pas se mettre en défaut vis-à-vis de la Préfecture.
Ainsi, en raison du mutisme volontaire de la Préfecture de Police de Paris, la Foire Saint- Sulpice a-t-elle interrompu la poursuite de la tenue de ses marchés, malgré le respect des mesures sanitaires qui y avaient été instaurées et respectées par le public et les exposants. Dans cet enchaînement, le Marché de la Poésie s’est vu dans l’obligation d’annuler sa
38e édition, privant de ce fait les éditeurs, les revues et les auteurs d’un unique rendez-vous annuel indispensable à leur existence même.

jeudi

Une autre statistique qu'on trouve dans les exports de Dilicom est assez instructive : depuis le début de l'année, la part de l'impression à la demande sur l'ensemble des parutions oscille entre 22 et 24%. C'était sensiblement la même chose l'année dernière. Ces statistiques n'existent pas avant 2019 et c'est dommage, il aurait été intéressant de voir à quel moment la bascule s'est opérée. Faut-il considérer que presque un livre sur quatre vendu est imprimé en POD ? Non : cela concerne le nombre de parutions totales et non les ventes. Ceci étant, on aurait des surprises : la plupart des grands groupes ont recourt à la POD pour des titres qui ne donnent pas l'impression d'en être, ou qui ne le revendiquent pas, pas toujours pour le fond, donc. Qu'en déduire ? Que les rétifs à la POD manipulent régulièrement des livres imprimés selon ces procédés sans même s'en rendre compte, que c'est en train de devenir un procédé d'impression lambda. Mais enfin ça ne nous avance pas vraiment. À quoi faire ? À lire. Réponses aux manuscrits en retard, et lecture de. Il faudrait concevoir un genre de glossaire interne pour aller plus vite dans la composition des notes visant à rendre compte de telles ou telles lectures car en réalité fatalement le même genre de retour revient vite :

PPN = pas pour nous (manuscrit correct en soi mais dans un genre qu'on ne propose pas).

VPPN =  vraiment pas pour nous (flargrant délit de bestseller, ou du moins tentative de).

PTS = parle tout seul (fonctionne en vase clos, sans sembler nécessité de lecteur, en langage plus soutenu on dirait que c'est un texte qui n'est pas adressé).

AGMSJRC = absolument génial mais sincèrement j'ai rien compris (qu'en faire ?).

NBNM - ni bonjour ni merde (email avec simplement une pièce jointe et pas de contenu dans le message)

DLADT = dans l'air du temps (ce n'est pas nécessairement une bonne chose).

TDLADT = trop dans l'air du temps (c'est nécessairement une mauvaise chose).

ARDN = attention, recueil de nouvelles (dans un monde idéal, ce ne serait pas un problème mais j'ai bien peur que nous ne vivions pas dans un monde idéal, les ami·es).

PT = paradoxe temporel (texte qui aurait pu avoir été écrit il y a un demi-siècle, voire un siècle).

CTVLA = contacter très vite l'auteur·e (quand on n'est pas trop lent).

HS = hors sujet (de l'essai anti-Macron à la BD sous paint).

TLMEEC = tout le monde est en copie (mail adressé à nous, ainsi qu'à X autres éditeurs en copie non cachée, ça va plus vite).

CI = complexe d'infériorité (c'est vraiment vraiment bien mais du coup l'auteur·e ne pourrait pas espérer mieux que nous ?).

OVEVQMIFAPCT = on va en vendre quatre mais il faut absolument publier ce truc (!).

CPPEM = ça peut peut-être marcher (et des fois même que ça marche).

CNMJ = ça ne marchera jamais (et des fois même que ça marche).

vendredi

J'ouvre les stories. Le nouveau livre de Line Renaud sur BFM TV. Je ferme les stories. J'ouvre les emails. Comment faire décoller votre business ? Je ferme les emails. J'ouvre les ventes du jour (or donc de la veille). Livre commandé mardi par Amazon, retourné vendredi par ce même Amazon (non le même exemplaire, évidemment, mais enfin quelle indignité comme dirait un célèbre ex-président de la cinquième république mis en examen ce jour pour association de malfaiteurs !). Je ferme les ventes du jour. Si je passe mon temps à faire ça (ouvrir, fermer), j'ai peu de chance d'aller loin. Fort heureusement je ne vais nulle part ; ce  qui est faux : je me dirige inéluctablement vers 2021. C'est l'objet du moins de mes mailings du jour. Je voulais faire quelque chose de construit que, ne parvenant pas à construire, j'ai déconstruit, résultat j'ai fait le contraire de ce que je voulais faire, pour ne pas aller à l'encontre de l'objectif que je m'étais fixé (c'est en soi étrange, mais la vie est comme ça). Fort heureusement, il y a des possibilités de reprendre son souffle et de prendre le temps. Le temps, par exemple, d'écouter la chronique de Nikola Delescluse sur Sœur(s) dans Paludes (merci à lui) :