[REVUE DE PRESSE] Va-t'en, va-t'en… : Un road-trip comme un long poème, sensible à la blessure et habité de littérature 22 mai 2020 – Publié dans : La revue de presse – Mots-clés : christophe grossi, Va-t’en va-t’en c’est mieux pour tout le monde
Merci à Corinne Amar et FloriHebdo pour cette chronique que vous pouvez retrouver en belle compagnie ici-même.
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Un jour sûrement, par agacement ou par lassitude, par résolution, un jour sûrement, parce que même près, même loin, son image nous obsède tristement, cette phrase sans doute l’aura-t-on, nous aussi, prononcée : « mais va-t’en, va-t’en, c’est mieux pour tout le monde ! » Le narrateur de ce road trip n’a ni le costume ni la mallette, ni le rasage de près du commis voyageur, et pourtant, c’en est un ; sur les routes, le coffre de la voiture de location empli des livres de la maison d’édition qui l’embauche, avec ses catalogues et ses bons de commande. Marathon organisé : les villes traversées, les rendez-vous en librairies au pas de course, l’attente fébrile, les parkings à trouver, les kilomètres de route à avaler, les cafés anxieux, les sandwichs sans âme en vitesse, les petits hôtels, les livres qui ont une âme et dont il faut parler, le temps après lequel il faut courir. Tout laisser tomber, ultime tentation : disparaître, s’évaporer, lui et son corps et son anonymat, nulle part chez eux. Dans les bars, les hôtels, les librairies, il entend les histoires des autres, toutes ces vies côtoyées, quand il peut, il sort son cahier, il écrit. Son univers, c’est les livres qu’il trimballe dans sa voiture ou ceux qu’il achète, les musiques qu’il écoute au volant, les rencontres, celle à qui il écrit – extérieur intérieur qu’il ouvre, qui apparaît. Partir, c’est écrire, c’est aimer pour ne pas se sentir mourir, même si ça doit finir un jour. Un road-trip comme un long poème, sensible à la blessure et habité de littérature.
« Je n’ai pas oublié les heures passées sur la route, les villes traversées et les librairies visitées, les voies à sens unique et les impasses, les arrêts forcés et les parkings souterrains, les chambres d’hôtel et les repas pris la plupart du temps en solitaire, la couleur des ciels du nord et l’odeur du bitume l’été, les moments joyeux et les doutes, les rencontres ratées et les attentes, les musiques écoutées et les phrases en boucle, les décisions à prendre et les questions ressassées, les prénoms, les noms et les pronoms à attendre, à entendre, à comprendre, à saisir, à retenir ou à oublier.»