[REVUE DE PRESSE] Le Paris de demain et d'hier 19 janvier 2017 – Publié dans : La revue de presse – Mots-clés : , ,

Jamais trop tard pour recenser les bonnes feuilles sur notre site ! Voici une chronique de Louis Wiart à propos de Paris Futurs, publié dans la collection ARCHÉOSF. Vous pourrez la retrouver ici, merci à lui.

Comment le Paris de demain a été pensé par les intellectuels du XIXe siècle ? À quoi la ville était-elle censée ressembler dans le futur ? Quelles sont les innovations et les opportunités inédites dont ils envisageaient l’existence ? Voilà les questions auxquelles cette anthologie d’anticipation ancienne, qui réunit six textes d’auteurs et de registres différents, s’efforce de répondre.

Paris Futurs se présente comme une anthologie de textes courts, publiés entre 1851 et 1906, qui nous éclairent sur la manière avec laquelle les écrivains du XIXe siècle ont imaginé l’avenir de la ville. Théophile Gautier, Joseph Méry, Victor Fournel, Tony Moilin, Arsène Houssaye et Eugène Fourrier proposent tour à tour leur propre vision du futur où se côtoient légèreté, utopie sociale, innovations extravagantes, considérations climatiques et fantasmes urbains.

Paru en 1851, le texte de Théophile Gautier commence par énumérer les nombreux travers de la ville. Il en stigmatise le nombrilisme et l’esprit d’entre-soi, mais aussi la misère, la laideur, l’absence d’élégance, notamment en comparaison avec les villes de l’Antiquité. C’est pourquoi l’auteur préconise de passer sur le Paris actuel un rouleau qui écrase ses maisons et ses monuments et en fasse un plateau parfaitement uni.

À partir de cette table rase, il imagine un élargissement de la Seine pour que l’océan atteigne directement Paris, devenant ainsi un port de mer. À la place des trois cents églises dispersées dans la ville, il suggère la construction d’un seul édifice gigantesque les résumant toutes, qui occuperait la place du Panthéon. Les cloches seraient remplacées par des orgues, l’architecture s’appliquerait à mêler toutes les époques du passé. Le chef de la nation, quant à lui, serait installé au sommet de la butte Montmartre, qui prendrait la forme d’un étagement de terrasses où se trouveraient des serres, des orangeries, des écuries, des palais et des colonnades. Chaque rue de Paris accueillerait un style architectural propre pour donner un caractère varié aux quartiers, de nombreux espaces verts seraient aménagés, la maîtrise du climat deviendrait possible grâce à des dispositifs plutôt surprenants :

Quand le temps menacera d’être pluvieux, des détonations de monstrueuses pièces d’artillerie, par la commotion qu’elles causeront à l’air, rompront et disperseront les bancs de nuages ; si le moyen ne suffit pas, des aéronautes monteront jusqu’à la région des nuées dans des ballons métalliques, et, en entraînant les vapeurs dans les turbines de leur sillage, ils les conduiront à la remorque au-dessus des campagnes qui auraient besoin d’eau. On balayera le ciel chaque matin comme on balaye le pavé de Paris.

Cette préoccupation climatique est également exprimée par Joseph Méry, dans un texte satirique publié deux ans plus tard en réponse à celui de Théophile Gauthier. Si l’auteur imagine plusieurs innovations urbaines pour pallier les principaux dérangements de Paris, comme le fait de couvrir les avenues embouteillées de galeries afin de faciliter la circulation des citadins, c’est avant tout l’avenir atmosphérique de la ville qui attire son attention :

Il faut rendre enfin Paris habitable, et surtout instituer le divorce de l’homme et du parapluie.
L’homme ne naît pas pour ouvrir et fermer un parapluie jusqu’à sa mort.
La pluie est, depuis Pharamond, élu sous un pavois (parapluie), la geôlière des Parisiens. Tout Parisien est condamné en naissant, par la pluie, à dix ans de prison.
Cela dure depuis quatorze siècles.
On s’est insurgé contre toutes les tyrannies, on les a toutes renversées ; deux tyrannies seules sont encore debout : la pluie et le portier !

Dans ce qui apparaît comme une véritable guerre contre la pluie, la solution envisagée est de disposer des canons au sommet des tours de chaque arrondissement, afin de tirer sur les nuages et de les détruire, ce qui permettrait, dans le même temps, d’offrir au peuple un divertissement continuel, moins coûteux et aussi émouvant que la loterie.

Avec le texte suivant, on quitte le registre humoristique. L’historien Victor Fournel rêve d’un Paris transformé par un siècle de travaux assidus, devenu capitale-type de la civilisation moderne. L’objectif de cette entreprise haussmannienne poussée à l’extrême est de bâtir une ville-vitrine, un objet de luxe et de curiosité plutôt que d’usage. Selon un idéal géométrique, les avenues de Paris s’ordonnanceraient en cercles concentriques, formant les rayons d’une roue géante. À partir de cette disposition générale, l’auteur décrit dans le détail un modèle d’organisation urbaine, ce qui ne l’empêche pas d’évoquer certaines fantaisies, comme l’aéromètre, un petit instrument servant à mesurer le niveau d’air respirable dans chaque appartement, ou encore l’aménagement de squares avec des arbres en carton peint, des fleurs en taffetas et des oiseaux artificiels pour conserver ce qu’il y a d’agréable dans la nature, en évitant ce qu’elle a de malpropre et d’irrégulier.

Puis vient le texte de Tony Moilin, un socialiste convaincu qui trouvera la mort pendant la Commune. Pour faire de Paris une République idéale d’ici l’an 2000, il conçoit un programme, financé notamment par l’impôt sur le revenu, qui prévoit l’expropriation des habitations, la construction d’un système de chemin de fer métropolitain, de rues-galeries permettant de circuler directement entre les immeubles, de maisons conçues selon un modèle préétabli, mais aussi d’un Palais international occupant la superficie de la Cité et de l’île Saint-Louis, destiné à accueillir le gouvernement ainsi que le temple de la religion socialiste.

Cette anthologie, qui s’achève par deux contributions plus anecdotiques d’Arsène Houssaye et d’Eugène Fourrier, relève d’un futurisme suranné, d’une science-fiction obsolète dont le charme opère justement en raison de son ancrage dans le passé. Certaines intuitions étonnent par leur justesse et leur caractère quasi prophétique, d’autres paraissent tout à fait invraisemblables ou fantasmatiques, mais toutes contribuent à révéler les préoccupations de l’intellectuel du XIXe siècle, attentif au développement des transports, à l’urbanisation croissante, à l’ordre politique et social, aux enjeux climatiques et aux nouvelles possibilités technologiques. Au fond, c’est moins la question de l’aménagement de l’espace urbain qui est posée que celle de l’organisation de la vie dans son ensemble.

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