[REVUE DE PRESSE] « Climats » : réchauffement poétique avec Laurent Grisel 29 juin 2016 – Publié dans : La revue de presse – Mots-clés : ,

Billet initialement publié sur L'insatiable, merci à Julienne Coquelle-Roëhm pour cette lecture !

À l’heure des discours alarmistes et des gesticulations politiques autour de traités fantômes, Laurent Grisel présente Climats, long poème abordant la question du réchauffement climatique par son versant le plus intime et sensoriel.

C’est assis au cœur du cercle formé par les spectateurs, dans l’entrée de l’Art Studio Théâtre, que Laurent Grisel débute la lecture de son poème-manifeste Climats, publié l’an dernier. Une œuvre composée à la demande de l’auteure Cécile Wajsbrot, et dont il avait lu les premiers extraits au lendemain des attaques de Charlie Hebdo.

Tentant d’étudier « la question du climat sous tous ses aspects : physique, psychologique, politique et financier », le texte final est paru fin 2015. Il est, depuis, manipulé dans tous les sens par son auteur qui, l’employant telle une matrice aux combinaisons multiples, en lit des extraits choisis à chaque fois selon l’humeur et le lieu. Laurent Grisel nous confiera ainsi, à l’issue du spectacle, aimer varier entre des lectures « chaudes » ou « froides », ou s’orientant vers des thèmes particuliers comme les arbres ou l’eau.

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Élément cependant invariable, le spectacle commence par une série de remerciements, que Laurent Grisel adresse assis sous le décor hétéroclite du hall du théâtre. Entouré de masques tribaux, de tapis orientaux et autres affiches d’anciens spectacles, le poète retrouve un rôle qui convient parfaitement au ton de Climats : prenant place au milieu du public comme s’il se plaçait au cœur de la Cité, il peut avertir, réfléchir, questionner. Il nous le rappellera plus tard : Climats est une « révolution céleste et terrestre ».

Parmi les remerciés, on retient notamment James Hansen, professeur à l’université de Columbia et militant contre le réchauffement climatique, qu’il a longuement analysé et expliqué. Il est le premier, raconte Laurent Grisel, à avoir publié « des articles colériques, brisant la convention universellement respectée dans les journaux scientifiques qui est d’écrire sans émotion apparente ». C’est la direction que prend Climats, en alliant à la science un supplément de conscience, de colère, d’incompréhension, mais aussi d’espoir.

CONSTRUIRE L’AVENIR

En entrant dans la salle, intimiste, de l’Art Studio Théâtre, on est accueillis par les notes chaudes et rondes de la guitare d’Alain Alioune Agbo, qui ponctuera la lecture d’intermèdes musicaux riches en évocations. Élodie Barthélémy, qui a mis le poème en scène, s’approche d’un grand cercle de bois posé au sol, qui sera pour la soirée le théâtre de performances métaphoriques, comme pour illustrer des étapes de l’épopée.

La toupie qu’elle fait tourner sur le plateau semble évoquer l’ouragan que décrit Laurent Grisel. Et lorsque celui-ci espère l’avènement d’un monde plus équilibré, construit par les actions de chacun, c’est une multitude de toupies qui sont distribuées au public, invité à franchir le quatrième mur pour les faire tourner sur scène.

Chacun prend alors part au spectacle, tout comme il peut prendre part à la lutte quotidienne : on se surprend à penser à Pierre Rabhi, à son mouvement Colibris qui appelle à un changement personnel et à des actions concrètes, quotidiennes. « Les hommes et les plantes savent ce qu’il faudrait », affirme Laurent Grisel. Ici, chacun apporte sa pierre à l’édifice.

Le ton se fait parfois plus accusateur : de la description de la « foule approbatrice » de la dérive sécuritaire post-Katrina, à la dénonciation du « pillage universel », Laurent Grisel pointe du doigt des responsables, appelant à « déposséder les possédants / leur reprendre les ressources qu’ils dilapident / leur reprendre les décisions qu’ils prennent à notre place ». À la lecture du texte complet, édité par Publie.net, on découvre un poète aux convictions fortes, dénonçant les grands pays émetteurs « donnant le ton » et le marché du pétrole, « crime en pleine lumière ». Artiste engagé, Laurent Grisel défend notamment ses opinions par sa collaboration avec Alternatiba, collectif signataire d’un Pacte pour la Transition Climatique dans l’Yonne.

Mais loin de n’offrir qu’une vision de désolation, Climats tente de peindre le portrait d’un monde meilleur, tant par son appel aux initiatives et aux alternatives que par sa soif de justice. En atteignant nos sens, l’œuvre éveille nos consciences.

RESSENTIR POUR RÉFLÉCHIR

«  […] rendre sensible ce qui échappe en grande partie à nos sens, intelligible ce qui est de la plus grande complexité ». Cette volonté, exprimée par Laurent Grisel dans sa note d’intention, correspond tout à fait au caractère politique de Climats. L’œuvre, qu’il décrit comme une épopée, fait retrouver au poète le rôle qu’il jouait dans la vie publique de la Grèce antique.

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L’un des poèmes du recueil dénonce l’insensibilité, qui gagne l’esprit et « l’être entier / et le remplace par l’excitation ».

Par sa mise en scène, son jeu de lumières, la musique de la langue et de la guitare d’Alain Agbo, Climats nous ramène, au contraire, à un temps d’arrêt et d’émotion. Dans la lumière bleutée enveloppant les performances d’Élodie Barthélémy, dans les mots de l’auteur nous accompagnant dans une forme de rêverie teintée de réalisme, calme olympien entre deux bourrasques de la tempête du quotidien, on se retrouve soi-même, humain et conscient. C’est alors que peut advenir la vraie réflexion. « Il faut sentir, comprendre et imaginer pour agir, pour échapper à la fascination, à la négation, à la paralysie », affirme Laurent Grisel dans une présentation de son grand poème. « On ne saurait faire de politique, aujourd’hui, sans regarder le ciel la nuit. On ouvre notre sensibilité et nos questions à l’horizon immense ».

Julien Coquelle-Roëhm

Pour en apprendre plus sur Climats et sur Laurent Grisel,rendez-vous sur le site consacré au livre, et sur la page Facebook.

Retrouvez le travail d’Elodie Barthélémy sur son site.

Écoutez la musique d’Alain Alioune Agbo ici-même.

L’Art Studio Théâtre est une salle de Belleville dirigée par Kazem Shahryari. Retrouvez sa programmation et son histoire ici.

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