[NOUVEAUTÉ] "Dedans Dehors" | Le théâtre n’est pas ce qu’on croit. 29 septembre 2015 – Publié dans : Notre actualité – Mots-clés : , ,

Par exemple, des pièces. Avec leur lot de personnages et d’intrigue à double tour. Ou des spectacles, avec costumes et décors. Et ces rideaux qui tombent comme des cadavres. Non vraiment. Le théâtre n’est pas ce qu’on imagine. Par exemple, du théâtre.

Sur les scènes d’Avignon cet été, on aura pu voir des plateaux transformés en boue, en cour devant les palais majestueux, et les rues en spectacle permanent de leur propre spectacle. On aura croisé des troupes hurlantes, pleines de foi. Et puis, tout un public qui voulait l’espace d’une heure oublier ce qu’il faisait là. Le théâtre qui se donnait loin était si loin de la vie que le théâtre appelle, suscite, vient défier et parfois venger.cover-rykner
Le théâtre n’existe pas. Il y a seulement ce qu’on en fait.
Car le théâtre ne suffit pas, il ne suffit jamais. Il y a peut-être ce geste qu’on esquisse pour en rejoindre le désir. Celui qui lance des cailloux dans la mer pour en mesurer la profondeur sait de quoi je parle. Il y a ces mots jetés qui dessinent l’espace d’une adresse, et il y a ce temps qui dresse lentement la possibilité du présent. C’est fragile et dérisoire, le théâtre. C’est la seule façon qu’on ait pu trouver pour fabriquer du temps. On peut s’en passer. (Beaucoup s’en passent facilement). Mais c’est le seul lieu qu’on a pu bâtir capable d’accueillir le territoire visible de notre présence. C’est l’unique endroit où la solitude est un partage. Et la communauté une déchirure. Ce n’est rien, en somme. Presque rien. Dans ce presque, on y jouerait la vie.
Il y a ce qu’on pourrait dire sur le théâtre et qui ne suffira pas à épuiser la blessure de voir qu’il est l’art méprisé de notre temps. Du théâtre, on entend dire combien il enjolive certains étés, certaines soirées. Qu’il entoure la parole d’un manifeste éclat. Qu’il est l’art spectaculaire, dans une époque qui cherche frénétiquement le spectaculaire pour se voir lui-même s’effondrer joyeusement.


Soit Dedans Dehors. C’est la seconde pièce du dramaturge Arnaud Rykner, auteur pour le roman, et pour la scène. Du théâtre, assurément, mais lequel ? Pas celui du drame pour salon, ou des tragédies du spectacle, pas des situations aux froissements d’âmes qui se donnent la réplique pour mieux s’entendre parler. Il y a bien une fable, on peut la deviner dans ces paroles lâchées comme malgré elles : un homme, une femme, leur amour brisé, et comment, et dans quelle violence. Dans la fable, l’allégorie de l’amour : ce qui lie et ce qui sépare, ce qui dans la relation abime et accomplit en soi une vérité et sa douleur. Dans cette allégorie, celle du théâtre : la fabrication un mot après l’autre d’une langue, des corps qui pourraient l’endosser. Alors dans cette simplicité, la radicale force du théâtre, des voix qui naissent pour mieux tisser la possibilité de s’arracher du silence. Il y a aussi, dans cette pièce, le silence qui s’écrit. L’espace entre deux mots, entre deux souffles. Il faut l’écrire aussi, ce silence – ici, le théâtre est à la tâche. C’est là qu’il agit. Le vieux désir de Racine : que l’action soit cette tension qui voudrait advenir. L’acte, le geste même qui s’exécute en exécutant la parole.


Osez Dedans Dehors. Le théâtre tel qu’il s’écrit, ou plutôt tel qu’on ne l’écrit pas, tel que précisément on n’ose plus. Entre ces deux espaces que le titre convoque, quelque chose fraie, qui n’est pas seulement le silence. Le moment où apparaître, dit le dramaturge Gao Xingjian, c’est ce battement d’air entre les coulisses et la scène, quand l’acteur devient celui qui va dire les mots qu’il a appris et qui ne sont pas les siens. Le moment de la beauté, dit Arendt : ce moment même de l’apparaître. Entre le dehors et le dedans, la plénitude de ce qui va naître. Des corps qui viendront le dire. Briser le silence en l’appelant.


Oser Dedans Dehors, c’est faire l’expérience que cette pièce raconte.
Sans vous en apercevoir, vous lirez cette pièce à voix haute — à voix basse peut-être, mais hors de vous-même, hors du silence intérieur toujours trop pesant de soi. C’est le miracle de ce texte. D’appeler à ce qu’une voix en vous naisse. Essayez. Théâtre pour cette raison-là, aussi.
Il n’y a pas de théâtre sans l’expérience d’une transformation.
Sur le plateau, les corps monstrueux du théâtre appellent des forces de la présence.
Et sur le texte ? Et sur le texte, comment en appeler à ces forces ? Elles viennent. Entre deux mots peut-être, dans l’espace qui agit entre deux mots.
Ou après le dernier mot.
On ne sait pas. Il faudra l’entendre. Il faudra recommencer.

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