Zyrànna Zatèli, la magicienne 4 juillet 2013 – Publié dans : Notre actualité, Traduire – Mots-clés : , , , , , , , ,

La ronde des mises à jour continue, avec aujourd'hui deux livres de Zyrànna Zatèli, deux traductions du grec faites par Michel Volkovitch, dans la collection Publie.Monde...

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Zyrànna Zatèli apparaît en 1984, à trente-trois ans, avec La fiancée de l’an passé, recueil de neuf nouvelles visiblement autobiographiques, où dès la première page elle crée son monde et ensorcelle ses lecteurs. Deux ans plus tard, elle donne un second recueil, Gracieuse dans ce désert, plus étoffé (vingt et une nouvelles), plus divers, où l’heureux lecteur du premier se retrouve en pays de connaissance.

Le monde de Zatèli, c’est son passé, son enfance avant tout, le coin de Grèce du Nord où elle l’a vécue, petite ville et campagne autour ; c’est les années 50 et 60, reconnaissables à certains détails — mais lieux et époques se fondent en partie dans une sorte de brume intemporelle. Si dans Gracieuse… le récit à la troisième personne tend à remplacer le « je » — signe que les romans futurs se rapprochent —, celle qui raconte l’histoire, qui en fut l’héroïne ou le témoin, est toujours une enfant, une jeune fille ou une jeune femme derrière lesquelles on devine l’auteure, entourée souvent d’une foule de frères et sœurs, d’autres grandes familles voisines, d’originaux divers, de fous et de folles, avec leurs cancans et leurs mystères.

Ces histoires que la conteuse déroule à nouveau ici, de façon plus ample et généreuse encore, sont faites à partir de presque rien, mais on n’y voit que du feu : la réalité humble et quotidienne dont elles sont issues apparaît toujours transfigurée par un œil d’une acuité, d’une fraîcheur incroyables. La force de Zatèli, c’est d’abord le don d’émerveillement, la faculté de voir le monde avec les yeux de l’enfance, dans l’enchantement et la terreur tour à tour — ou en même temps. Pour Zatèli comme pour l’enfant, l’objet le plus insignifiant peut devenir un trésor, le moindre détail, le souvenir le plus infime nous font basculer dans un ailleurs étrange : un rien suffit, un enfant qui oublie son nom, des parents qui oublient leur enfant, un père qui se change en inconnu, une tête de veau, de longs gants noirs… On découvre la sexualité. On découvre la mort. (Elle est partout, celle-là.) Dans ce nouveau livre, la magicienne jette une pincée de cruauté et d’étrangeté de plus dans son brouet, le rendant parfois quasiment hallucinogène. On rêve une scène qui va se dérouler telle quelle juste après ; ailleurs, on ne sait plus bien distinguer le rêve du réel. Avant que le réel ne reprenne ses droits. Mais la fantasmagorie continue aussi plus tard, l’enfant une fois devenu adulte. François Truffaut passe caché sous un faux nom, son interprète Oskar Werner meurt quasiment sous nos yeux — est-ce bien lui ?

zateli_gracieuseLa fiancée de l’an passé et Gracieuse dans ce désert, proches comme deux sœurs, risquent d’être vues avec le recul comme un cahier d’esquisses, un laboratoire des grands romans à venir : Le crépuscule des loups (1993), La mort en habits de fête (2002) et La passion des milliers de fois (2009), qui feront de son auteure une star dans son pays, et qui par ailleurs, plus d’une fois, puisent des matériaux dans ces pages de jeunesse. Cette dimension de laboratoire est nette surtout dans le recueil ici présent, qui explore de nouvelles directions, expérimente plus hardiment de nouvelles formules narratives. Mais il ne faut surtout pas voir dans ces deux livres de simples cahiers d’esquisses : le second, notamment, contient certaines des plus belles pages de Zatèli. Il suffit de lire, par exemple, « Le vent d’Anatolie », le plus long texte du livre et sans doute son sommet. Il y a là selon moi plusieurs passages parmi les plus forts, les plus beaux jamais écrits sur la mort. La narratrice encore enfant, intermédiaire entre les vivants et une malade qui n’est déjà plus des nôtres, n’est-ce pas aussi une figure de l’écrivain, ce passeur entre un autre monde et nous ? J’ai traduit toute la nouvelle en retenant mon souffle, comme le croyant dans une église, mais les pages centrales m’ont transporté comme je l’ai rarement été dans mon travail de traducteur.

Michel Volkovitch

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