La machine ronde : dans le mouvant du monde 7 septembre 2015 – Publié dans : Notre actualité – Mots-clés : , , , ,

La machine ronde : dans le mouvant du monde

Des mois que cela se préparait. Maintenant, enfin, l’éclosion : on lance une nouvelle collection chez publie.net. Elle s’appelle « La machine ronde » et j’aurai le plaisir de la diriger.

La machine ronde ? C’est une vieille expression, rencontrée dans les Fables de La Fontaine, qui signifie : la Terre, notre planète. Un des noms (on en a tous, n’est-ce pas ?) que je garde dans mon trousseau depuis plusieurs années, parce que je le trouve beau. J’avais aussi une URL associée, que j’ai utilisée pour mon blog voyage pendant quelques temps, au début de mon séjour en Asie, en 2012 — avant de laisser tomber. Le voyage, en soi, ce n’est pas mon truc.

M’intéressent, en revanche, la littérature, le récit, et comment ils émergent de ce qui bouge, dans le réel. Un des changements les plus notables, dans notre époque, il me semble, a trait au mouvement, et pourrait bien trouver sa formulation dans le concept de « mobilité ». Le « nomadisme », concept plus ancien, encore pertinent mais plus guère suffisant, le nomadisme signifiait : aller de l’ici à l’ailleurs, du même au différent. La mobilité, pour moi, signifie au contraire : aller de l’ici à l’ici, du même au même. C’est le trajet en train de l’appart au boulot, ou dans l’étendue de la ville (lire Ferroviaires, de Sereine Berlottier), étendu à la globalité du monde : d’une ville à l’autre, d’un pays à l’autre, aujourd’hui, on retrouve le même. Mais un même qui se donne à voir différemment, un même en des phases distinctes de formation, un même parfois plus brassé. Same same but different, comme on dit ici en Thaïlande !

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On est mobile quand on établit, par le récit, d’un pays à l’autre, une continuité. Quand on lève la frontière (« Toute littérature est assaut contre la frontière », disait Kafka). C’est ce que fait Sébastien Ménard dans la nouveauté avec laquelle on lancera officiellement la collection : Soleil gasoil. Des carnets de voyage, mais bien plus que cela : une machine de langue et d’images, lancée sur les routes de l’Est et du Sud, dans la poussière et les bus, et l’odeur du gasoil. Un livre définitoire pour une génération et le renouvellement du road book. Dans un des textes qui composent l’ensemble, « L’odeur du gasoil à la frontière syrienne », employant un oud, instrument de musique considéré comme sacré, mais surtout instrument de rythme, comme la langue, les voyageurs arrivent à percer la frontière. J’y vois une allégorie du récit.

*  *  *

D’une certaine façon, « La machine ronde » prolonge et remplace « Décentrements », une collection publie.net qui a été active de 2010 à 2012, grosso modo. Mais l’identité de « Décentrements » demeurait un peu floue. Certains textes, on les intégrait à la collection pour la seule raison qu’ils venaient du Québec. En même temps, on aurait voulu tirer une ligne esthétique plus forte, mais ça restait à préciser, et puis pour certaines raisons on a pris distance, la collection s’est amuïe. « La machine ronde » reprend la route là où « Décentrements » s’était arrêtée. Cette fois, on a mieux défini le projet en amont. D’où viennent les textes, c’est-à-dire, en gros, le passeport de l’auteur, cela n’aura pour nous aucune importance. C’est où on va, qui compte. On cherche des textes, donc, qui se définissent par le mouvement, les traversées, le nomadisme ou la mobilité, le transport. Pas des romans, non : on cherche des explorations du réel, récits, carnets, notations, langue, recherche en allés… Si le web et le numérique y ont eu part, comme c’est le cas de plusieurs textes de Sébastien Ménard par exemple, encore mieux : là naissent parfois les formes.

Ce qui est bien, avec publie.net, c’est qu’un catalogue déjà existe, et que donc on ne construit pas l’édifice de zéro, mais à partir de briques déjà posées. Je pense par exemple à Isidoro d’Audrey Lemieux, paru initialement dans « Décentrements », un texte-traversée déjà (la traversée de l’Atlantique en bateau d’Isidore Ducasse en amont de l’invention de Lautréamont). Ou à Comment va le monde avec toi de Laure Morali, que j’ai édité pour Publie.monde dans l’entre-deux des collections : des mots face à l’Atlantique, en chevauchement des territoires Europe et Amérique, un sentiment de la Terre aussi à travers les récits maritimes de l’aïeul… Ces deux textes, avec quelques autres, sont rapatriés dans « La machine ronde », dont ils forment en quelque sorte la base.

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On construira là-dessus, et dès cet automne. À venir donc en octobre : Soleil gasoil de Sébastien Ménard. Mais aussi : une version papier d’Isidoro d’Audrey Lemieux et une réédition de mes Carnets du Népal. On envisage aussi la création d’un site compagnon « La machine ronde », qui pourrait accueillir des textes courts, des images, des expérimentations, des suppléments au voyage…

Faisons, ensemble, tourner la machine.